Les imports dans la peau
Article paru dans le Libération - "Ecrans" du 3 juin 2006
 

T
out passionné européen de jeu vidéo traverse un jour les zones interlopes de l'importation. Bien que beaucoup de titres, même obscurs ou expérimentaux, soient aujourd'hui commercialisés sur le Vieux Continent, des grands classiques de toutes les époques restent inédits ici, temporairement ou définitivement. Quelques solutions s'offrent au gamer curieux. Attendre la sortie hexagonale parfois très hypothétique du bijou convoité. Le télécharger illégalement sur le Net. Enfin, se procurer une version originale étrangère (dans 99% des cas, japonaise ou américaine) qui sera seulement lisible sur une console de la nationalité correspondante, ou sur une machine française tantôt modifiée par une puce, tantôt leurrée par des adaptateurs ou logiciels spéciaux. Cette dernière possibilité, de nombreux joueurs s'en saisissent. Le désir d'avoir la primeur de monuments immensément attendus comme Final Fantasy XII paraît fort naturel lorsque ceux-ci mettent un an, voire davantage, avant de sortir chez nous. Cas extrême : Animal Crossing, sur GameCube, apparu le 14 décembre 2001 au Japon et le 19 septembre 2002 aux Etats-Unis, arriva en France le… 24 septembre 2004 ! Pire : certains jeux n'ont presque aucune chance de passer les frontières de leur pays natal. Radiant Silvergun, sur Saturn (1998), fait partie de ces raretés flamboyantes, uniquement diffusées au Japon à quelques dizaines de milliers d'exemplaires. Shooting game inouï, énorme et hybride qui agrège et transcende toute l'histoire du genre, son prix actuel atteint facilement 200 euros.

La communauté des adeptes de l'importation s'avère ainsi suffisamment importante pour motiver l'existence de multiples sites de vente en ligne (Play-Asia.com, Videogamesplus.ca…), de boutiques spécialisées (la lilloise Gameswave.com, la parisienne Trader…), de webzines et forums se fendant d'analyses pointues, traductions complètes ou aides de jeu (Ntsc-uk.com, Insertcredit.com ou Gamefaqs.com)... Parmi les exclusivités nippones parues en 2005 et assez aisément trouvables, deux jeux sur DS méritent peut-être une attention particulière, parce qu'ils sont remarquablement conçus, originaux, consistants et matériellement accessibles (toutes les DS acceptent les cartouches de toutes les nationalités). Leurs noms : Ouendan et Goemon.

Ouendan est un jeu musical possédant déjà une pléthore d'admirateurs, qui voient en lui l'un des sommets de la console portable de Nintendo. On ne les contredira pas. Le joueur incarne une bande de trois élégants cheerleaders masculins (penser à des pompom girls) qui encouragent, par d'absurdes chorégraphies, des personnages en difficulté : un étudiant qui essaie de réviser au milieu des rires de sa famille, des policiers confrontés à une invasion de robots de l'espace, un jeune homme décédé qui tente de se manifester à sa bien-aimée désemparée… Pour que l'opération réussisse, le joueur doit appuyer en rythme, avec le stylet, sur les cercles, bandes et spirales qui s'affichent successivement. Impitoyable, Ouendan laisse peu de place à l'erreur. Au plus haut du challenge, il procure stress et euphorie intenses, comme tous les jeux exigeant une perfection quasi surhumaine du geste. Cette sensation de faire corps avec la musique, propre aux meilleurs titres du genre, est ici maximale, à la faveur des sons de percussion produits par nos actions. Quinze morceaux pop ou rock entêtants, issus des répertoires de gros groupes japonais, irriguent et structurent le jeu. Et la narration dynamique sous forme de cases de BD animées se révèle si éloquente que l'on comprend tout sans connaître un mot de la langue. Un remake occidentalisé de Ouendan, avec des histoires, chansons et personnages totalement différents, devrait nous parvenir d'ici à la fin 2006.

Goemon DS est, quant à lui, le dernier épisode d'une série culte dont seuls quatre volets parmi une vingtaine ont été édités en dehors de l'archipel. Lointainement inspiré d'Ishikawa Goemon, authentique voleur du XVIème siècle aux exploits proches de ceux de Robin des bois, le héros évolue dans un Japon médiéval mystique et manga dont ce volet sur DS constitue sans doute la plus belle représentation. Diverses phases se succèdent : exploration de villages, campagnes et donjons aux ambiances marquées, combats contre des créatures étranges, achat d'objets, énigmes, mini-jeux (dont un exercice de poterie !)... Dans des séquences astucieuses, le héros esquive des obstacles au premier plan tout en dirigeant, avec l'écran tactile, son robot géant qui bataille à l'arrière-plan. Praticable par un non japonisant muni d'un guide (1), Goemon DS ressort au Japon le 29 juin, à 2940 yens -environ 20 euros. Une raison supplémentaire de découvrir ce drôle et enivrant mélange d'aventure et d'action, dont la 3D isométrique (2) somptueusement détaillée évoque l'art traditionnel oriental.

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(1) Par exemple celui-ci.

(2) 3D vue du dessus sans point de fuite.