La saga Zelda
Article paru dans le Guide 200 jeux vidéo essentiels - Octobre 2007
 



Pour des millions de joueurs, le simple nom « Zelda » est une madeleine de Proust qui éveille des souvenirs par dizaines. Et pour cause : depuis 1986, « La légende de Zelda » symbolise l’ambition créative, la rigueur conceptuelle, le soin artisanal et le succès commercial de Nintendo.


C
omme il l’a souvent dit, Shigeru Miyamoto (le papa de Mario) aspire à transcrire dans ses jeux des sensations ineffables : celles qui l'habitaient quand, enfant, il découvrait des grottes ou d'étroits chemins dans les forêts de sa campagne natale. A cet égard, la grande saga des Zelda, commencée sur NES en 86, vendue à quelque 50 millions d’exemplaires, est sa plus belle réussite. Son héros, Link, traverse le royaume d’Hyrule à la recherche de la Triforce et de la Princesse Zelda, enlevée par le maléfique Ganon. Le principe qui régit l’essentiel de la série (ainsi que les Metroid ou certains Mario) est le suivant : l 'univers, gigantesque et gorgé de passages secrets, s'ouvre progressivement à notre personnage à mesure qu'il acquiert de nouveaux objets et facultés.

Aboutissement
Si cohérent et riche qu’il en semble palpable, A Link to the past (Super Nintendo, 91) incarne l’aboutissement prodigieux de ce concept. Chaque objet peut être utilisé logiquement dans des circonstances variées, le jeu est un puzzle géant constitué de deux mondes parallèles superposés, la structure des lieux est intelligente (zones joliment imbriquées, énigmes retorses sur plusieurs étages, déviations qui accroissent le sentiment de gigantisme…), les détails abondent (gardes sensibles aux bruits…). Après Link’s Awakening (Game Boy, 93), épisode mélancolique situé sur une île déserte, Ocarina of time (Nintendo 64, 98) révolutionne le jeu d’action et d’aventure en 3D. Triomphe commercial (7.6 millions d’exemplaires), cette épopée d’une élégance impressionnante met en scène deux pays d’Hyrule –l’un, intact, l’autre, dévasté par Ganon sept ans plus tard. En plus de traduire dans une 3D intuitive chacun des fondements de la série, Ocarina of time manie avec poésie l’espace et le temps (succession magique du jour et de la nuit, fine brume sur un grand lac, pièce sans limite apparente, couloir tordu…).

Réinvention
Majora’s Mask (Nintendo 64, 00) rompt avec les précédents volets. Et pour cause : Eiji Aonuma, disciple de Miyamoto, dirige désormais la série, après avoir supervisé les châteaux et ennemis d’Ocarina of time. Il impose une approche plus émotive, plus scénarisée, plus sombre, plus ancrée dans la culture japonaise, plus centrée sur les personnages et les sous-quêtes. Link est attiré dans un monde alternatif, Termina, sur lequel la lune, contrôlée par une entité, s'écrasera dans trois jours. Grâce à son ocarina, Link peut accélérer, ralentir et remonter le temps. Pur chef-d’œuvre, étrange et dramatique, Majora’s Mask figure parmi les jeux les plus expérimentaux et importants de l’histoire de Nintendo.

Aonuma va plus loin : pour The Wind Waker (GameCube, 02), il choisit un style dessin animé qui se révèle sublime et expressif, digne de Miyazaki et des classiques Disney. Tandis que Phantom Hourglass (DS, 07) reprend l’univers et la direction artistique de The Wind Waker, le consistant Twilight Princess (GameCube, Wii, 06) prolonge Ocarina of time. Son succès (5 millions) a définitivement imprimé le nom d’Aonuma dans les esprits.


>>> Shigeru Miyamoto et Eiji Aonuma, producteurs et game designers de Zelda

Engagé par Nintendo en 1977 après des études de design industriel, Shigeru Miyamoto crée Donkey Kong, Mario et Zelda. D’abord guidé par Gunpei Yokoi (inventeur de Metroid et de la future Game Boy), il manifeste une capacité inouïe à se mettre à la place du joueur pour anticiper ses réactions, mieux l’amuser, l’étonner. « Un concepteur, dit-il, doit savoir très précisément et efficacement comment manipuler les émotions du joueur. Aujourd'hui je dois choisir des concepteurs qui comprennent cette démarche ». L’un des élus de Miyamoto sera Eiji Aonuma. Ses histoires humaines, complexes et mélancoliques renouvellent les Zelda à partir de Majora’s Mask. "La façon dont les personnages se rencontrent, communiquent entre eux et se quittent est très importante à mes yeux", explique Aonuma.