Interview : Viktor Antonov, directeur artistique
Article paru dans le n°81 de JeuxVidéo Magazine - septembre 2007
 

Quel point commun entre Half-Life 2, les banlieues parisiennes, les Templiers et l'architecture gothique ? Le sidérant FPS sur PC et Xbox 360 des créateurs lyonnais d'Arx Fatalis : The Crossing.

Tous les admirateurs d'Half-Life 2 le savent : la vraie star du jeu n'est pas son célèbre pistolet anti-gravité, mais son inoubliable ville totalitaire, Cité 17. Bâtiments usés qui s'inspirent de l'Europe de l'Est, graffitis inquiétants, colossale citadelle extra-terrestre qui dévore littéralement les habitations humaines, subtile lumière automnale à mi-chemin entre mélancolie et espoir... Dans Half-Life 2, le plus infime détail visuel a une justification précise. Aujourd'hui, le talentueux directeur artistique du jeu, Viktor Antonov, façonne dans son studio parisien le double univers de The Crossing : d'un côté, les banlieues de la capitale livrées à l'anarchie après la chute du gouvernement français ; de l'autre un Paris gothique tentaculaire où règnent les Templiers. Pour JVM, Antonov explique ses choix créatifs.

Pourquoi avoir situé le jeu à Paris ?
New York, Tokyo, Londres ou Los Angeles ont déjà été montrées mille fois par la science-fiction... Reste Paris. Si tu analyses ses immeubles, tu t'aperçois que le Baron Haussmann a créé une ville sans couleur, répétitive, uniforme –presque oppressante en somme. C'était adapté à l'histoire que nous voulions raconter.

Comment as-tu imaginé ce Paris alternatif où la Renaissance n'a pas eu lieu ?
Raphaël Colantonio a développé des jeux médiévaux traditionnels, comme Arx Fatalis, et il avait déjà en tête un univers avec des chevaliers, des Templiers. A partir de cette idée, j'ai voulu concevoir un Paris fictif mais très réaliste, où le moyen-âge et l'architecture gothique auraient perduré jusque maintenant sous une forme modernisée. J'ai compulsé beaucoup de livres, en m'inspirant de l'Histoire. Par exemple, lors de la première guerre mondiale, la majorité du métal disponible a été utilisée pour la construction du matériel militaire, ce qui a limité l'essor des bâtiments constitués à partir de ce matériau. Pour ces mêmes raisons, le Paris gothique de The Crossing comporte peu de métaux et tire surtout son énergie de la vapeur, plutôt que de l'électricité.



Le début du jeu se déroule en banlieue. Pourquoi ?
Je voulais créer un contraste puissant entre les deux parties de The Crossing, pour toucher le joueur au maximum, produire chez lui un choc esthétique extrême. J'ai donc décidé de partir d'un réalisme urbain, sombre, très sec, celui des banlieues parisiennes, pour ensuite amener le joueur dans le centre de Paris puis dans cet univers parallèle jamais vu, impressionnant. Après cette introduction en banlieue, où tu apprends les mécaniques de jeu, où tu t'imprègnes du contexte dramatique et des lieux banals que tu traverses, les éléments fantastiques ressortent d'autant plus fortement. Le jeu présente deux visions opposées d'une société cauchemardesque : d'un côté le chaos, celui des banlieues, avec ses couches d'architecture superposées n'importe comment, ses passerelles, ses parkings, ses grands ensembles carrés ; de l'autre l'ordre absolu, celui d'un Paris monumental, gothique, très organisé, militaire, presque nazi.

En plus d'être le directeur artistique du jeu, tu le co-écris.
Oui, je tenais absolument à assumer ces deux rôles. Avant de commencer le dessin, j'ai énormément discuté de l'univers et du scénario avec Raphaël Colantonio, le patron d'Arkane, pour établir une vraie logique. Ainsi, j'ai pu m'appuyer sur une base solide pour construire un monde visuellement cohérent et sensé. Les développeurs de jeu vidéo effectuent trop rarement ce travail de préparation. Sans lui, la direction artistique ne fait que maquiller le gameplay.
>>> Le Paris parallèle de The Crossing, où le moyen-âge et le style gothique se seraient perpétués jusqu'au XXIème siècle, sous la domination des Templiers.


























































































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Pour The Crossing, Viktor a effectué des repérages à Bobigny et St-Denis. "Les banlieues de Paris sont des lieux un peu ironiques avec leurs cercles décoratifs, leurs couleurs censées adoucir l'ambiance, et qui pourrissent... ".