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Disciple du grand Shigeru Miyamoto –le père de Mario et Link-,
le brillant Eiji Aonuma est, à 40 ans, aux commandes d'une des
plus importantes séries de l'histoire du jeu : The Legend of Zelda.
On oublie parfois que le
jeu vidéo, comme le cinéma, est un art collectif où
les auteurs complets sont finalement assez rares. Au point qu'on a souvent
donné à Shigeru Miyamoto, par réflexe, par conditionnement
marketing, la paternité des expérimentations contenues dans
les deux derniers Zelda (il est, depuis la présentation événementielle
de la N64 au salon E3 de 1996, le visage public de Nintendo, un produit,
un créateur-star qui promeut et légitime les jeux de la
société aux yeux de la presse et des gamers). Pourtant,
ce n'est pas Miyamoto qui a défini la subtile gestion du temps
qui charpente Majora's Mask (N64, 00). Ce n'est pas Miyamoto qui a choisi
le look cel-shading (dessin animé), si médiatique et controversé,
de Wind Waker (GC, 02). C'est Eiji Aonuma.
Zelda,
The Next Generation
A
partir du canevas construit par Miyamoto depuis la sortie du premier
Zelda en 86, Aonuma a innové, inventé. Il a prolongé,
enrichi, intensifié le travail du maître pour donner sa
version personnelle du concept, de l'univers, de la mythologie Zelda.
Après avoir supervisé et co-développé les
ennemis et surtout les châteaux du majestueux Ocarina of time
(N64, 98), Aonuma a dirigé Majora's Mask et Wind Waker. Avec
lui, les Zelda ont pris une orientation sensiblement différente.
Plus émotive, plus scénarisée, plus sombre, davantage
enracinée dans la culture japonaise (théâtre No,
Shinto, folklore, animation, peinture…), son approche donne la
prééminence aux personnages et aux sous-quêtes plutôt
qu'aux donjons-puzzles qui constituaient jusqu'alors le coeur de la
saga.
Un
jour sans fin
La
structure de Majora's Mask, mise au point par Aonuma et Yoshiaki Koizumi
(Super Mario Sunshine), est complexe autant qu'audacieuse : Link est
attiré dans un monde alternatif, Termina, sur lequel la lune,
contrôlée par une entité maléfique, s'écrasera
dans 72 heures (soit environ 72 minutes réelles). Grâce
à son ocarina, Link peut accélérer, ralentir et
remonter le temps. Pendant ces trois jours et trois nuits, Termina est
en perpétuel mouvement –y compris ses habitants, qui ne
cessent de bouger et d'agir, et dont les préoccupations sont
crédibles et touchantes. "Les relations entre les personnages
de mes jeux, la façon dont ceux-ci se rencontrent, communiquent
entre eux et se quittent sont très importantes à mes yeux",
explique Aonuma.
A mesure que la lune approche,
l'éclairage, l'ambiance sonore, le comportement des habitants
s'assombrissent. Et les quelques secondes qui précèdent
la destruction de Termina constituent les moments les plus profondément
dépressifs et inquiétants de toute la série des
Zelda –terre qui tremble, voile de lumière rougeâtre,
nappes de synthétiseur monstrueusement enveloppantes… Comme
l'indique Aonuma, "il fallait susciter chez le joueur des sentiments
d'urgence et de peur, lui donner la sensation qu'au terme du cycle de
trois jours ce serait vraiment la fin". La nostalgie,
la tristesse que dégagent cette boucle temporelle et son issue
systématique (l'apocalypse pour Termina, le recommencement pour
Link), les thèmes du destin et du libre-arbitre suggérés
par le gameplay et le scénario (les personnages, dont les trajectoires
et les choix sont modifiés par vos actions, sont reliés
les uns aux autres), l'humour, la noirceur et l'étrangeté
globales de l'ambiance, font de Majora's Mask un très grand jeu,
aux tonalités émotionnelles multiples.
Beauté
en mouvement
Pour
Wind Waker, Aonuma décide d'abandonner le style graphique réaliste
présenté lors du salon Space World en 2000. Il lui substitue
un cel-shading absolument terrassant, qui rappelle les films et séries
d'animation les plus élégants par son unité, son
expressivité, sa précision, sa profusion de détails
et son économie de traits. "Je ne suis pas un artiste, nuance
Aonuma. J'ai certes une image mentale de ce que sera le jeu final, mais
ma tâche est de décrire avec exactitude le look et l'atmosphère
globale aux character designers, animateurs, graphistes... Souvent,
le résultat dépasse largement, en beauté et en
sophistication, ce que j'imaginais". Aonuma fonde le scénario
sur un postmodernisme mélancolique : le monde d'Hyrule décrit
dans Ocarina of time a été noyé sous les eaux,
et Link est devenu une légende, un héros mythique dont
on narre les exploits aux jeunes garçons.
Aonuma
travaille actuellement sur le nouveau Zelda GC. Il devrait être
présenté à l'E3 en mai 2004.
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Softographie
88 : Obtient
un diplôme de composition/design à la faculté des
beaux-arts de Tokyo. Entre chez Nintendo.
98
: Supervise les châteaux et ennemis de The Legend of Zelda : Ocarina
of time (7.6 millions d'ex. vendus).
Ocarina of time est un tour de force, où la perfection, la logique
quasi mathématiques de la construction, du level design et du
game design des précédents Zelda se transfigurent en une
œuvre d'art élégante et sensuelle. Historique.
00
: Dirige The Legend of Zelda : Majora's Mask (3.36 millions d'ex. vendus).
Développé en seulement dix-huit mois, Majora's Mask, suite
étonnamment triste, compacte et extravagante d'Ocarina of time,
est un chef-d'oeuvre assez méconnu, récemment réédité
sur un disque bonus du bundle GameCube / Mario Kart.
02
: Dirige The Legend of Zelda : the Wind Waker (3.07 millions d'ex. vendus).
Analytiquement, Wind Waker est moins bon que les précédents
Zelda ("trous" scénaristiques dus au retranchement,
par manque de temps, de deux îles et châteaux ; level design
parfois paresseux…). Emotionnellement, il est incomparable. La
manière dont Wind Waker représente l’invisible et
stylise le visible en fait une date, un jalon dans l'histoire des formes
vidéo-ludiques. Cette exaltation épique et panthéiste
de la nature, des éléments, de l'aventure et de l'exploration
évoque les films de Miyazaki. Avec Rez et Ico, le plus beau jeu
du monde.
02
: Est promu sous-directeur et responsable de la planification du département
conception de logiciels au sein de la division Recherche & Développement
de Nintendo.
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