Bioshock
Article paru dans le n°39 de Chronic'art - octobre 2007
 

S
ublime et monumentale cité sous-marine à l'architecture Art déco cachée au fond de l'Atlantique, Rapture est édifiée en 1946 par Andrew Ryan, un mégalomane déçu par le communisme et le capitalisme. Conçue pour abriter des génies, Rapture est une sorte d'utopie anarchiste de droite imprégnée de la philosophie individualiste d'Ayn Rand. Une ville où "les grands ne seraient pas humiliés par les petits". Une cité peuplée d'"hommes" (qui "construisent à la sueur de leur front"), et non de "parasites" (qui "profitent de richesses créées par d'autres"). Au moment où le héros de Bioshock pénètre par hasard dans Rapture après avoir miraculeusement échappé à un crash aérien, la ville tombe en ruines et les quelques survivants sont fous ou monstrueux...

Jeu-monde saturé de pistes de réflexion (les extrêmes idéologiques, la fascination pour la violence, le conditionnement...), Bioshock affiche d'emblée une ambition intellectuelle et une maîtrise formelle rares : cohérence de la direction artistique, usage très expressif et théâtral des éclairages et de l'espace, cadres dans le cadre, vision du héros altérée par l'environnement... Les interactions dynamiques entre les armes, les pouvoirs spéciaux, les ennemis, les éléments du décor, le feu, l'eau et l'électricité provoquent des effets dominos étonnants et crédibles. Et les concepteurs ont obsessionnellement investi chaque lieu, chaque aspect du scénario, chaque convention de gameplay –même les plus absurdes en apparence, telles les bornes de sauvegardes- d'une fonction et d'une signification précises. D'innombrables affiches au style fifties, photos, inscriptions, enregistrements audio abandonnés, dialogues saisis dans un couloir, flashbacks fantomatiques mêlés à l'action racontent peu à peu l'histoire de Rapture et de ses habitants. Pourtant, les chapitres de conclusion, péniblement étirés et frénétiques, ainsi que les récoltes d'objets obligatoires, trop fréquentes, finissent par produire une sensation désagréable : comme si, avant d'avoir le droit de regarder la suite d'un film captivant, le spectateur devait d'abord collectionner des timbres et gagner une partie de paintball interminable.