Interview : Jacques Exertier, scénariste de King Kong et Beyond Good and Evil
Article paru dans le hors-série jeu vidéo de Mad Movies (avril 2006)
 

Mené par le médiatique Michel Ancel, le studio montpelliérain d'Ubisoft s'est imposé, en quelques années, comme l'un des plus brillants de l'hexagone.

D'abord en 94 et 99, avec le triomphe public des deux premiers Rayman. Ensuite en 2003, avec l'ambitieux jeu d'aventure Beyond Good and Evil (BGE), insuccès commercial salué par la critique. Enfin en 2005, avec la remarquable version interactive du King Kong de Peter Jackson, condensé d'action qui incarne presque toutes les formes d'influences du cinéma sur le jeu vidéo. Le jeu reprend évidemment les personnages, les décors, le déroulement global, les moments clés du film. Jackson en personne, sa scénariste Philippa Boyens et ses acteurs principaux ont collaboré à sa conception. Plus subtilement, le jeu KK s'approprie le langage du septième art pour communiquer des sentiments, des sensations, des idées. Ainsi, le cadrage, les mouvements de caméra ou la composition des plans sont utilisés à des fins fonctionnelles (pour montrer l'action le plus clairement possible), esthétiques (pour produire un impact graphique maximal) et narratives (pour exprimer les enjeux dramatiques, les caractéristiques des personnages…). Lorsque Kong est dans la jungle, la caméra indique toujours le chemin car il n'a aucune raison de se perdre : c'est son territoire. Lorsque Kong est à New York, la caméra est collée aux spots et aux voitures de police pour dynamiser, amplifier l'action. Lors des séquences où l'on dirige Jack Driscoll, vues à travers les yeux du personnage, c'est parfois le décor qui se fait cadrage, générant une contre-plongée grandiose sur le repère de Kong dans la jungle, ou attirant notre regard vers des points précis de l'action : Kong dont on voit la tête passer derrière une cavité dans une grotte, par exemple (au cinéma, cela s'appelle le surcadrage –un cadre dans le cadre).

Mais ce qui frappe peut-être encore plus, dans ce KK, c'est son scénario et son rythme. Inhabituellement prenants, ils agrippent agressivement le joueur pendant six heures. Le parcours suit une ligne droite, les énigmes sont simples, l'univers est très étroit, il n'y a pas de découpage en niveaux, les transitions entre les différentes phases de jeu sont limpides, et cette linéarité quasi totale de la structure fait naître une tension extrêmement forte, ininterrompue. Véritablement haletante. A cet égard, Jacques Exertier a tenu un rôle important. Scénariste de BGE et KK, animateur et superviseur des cinématiques de Rayman 2 et BGE, il est naturellement au centre de l'hybridation entre jeu vidéo et cinéma dont témoignent BGE et KK. Pour Mad Movies, il raconte la création de ces deux jeux, nous parle d'écriture, de gameplay, de mise en scène... Et détaille la manière dont l'équipe d'Ubi Montpellier a entremêlé ces éléments, pour façonner des expériences audiovisuelles atteignant -voire dépassant- l'émotion cinématographique.

(Il est recommandé de lire les réponses sur Beyond Good and Evil après avoir fini le jeu)


Mad Movies : Quand le rapprochement entre le cinéma et le jeu vidéo est-il devenu évident pour vous ?
Jacques Exertier :
Dans ma carrière, Beyond Good and Evil a constitué un virage. C'est avec ce jeu qu'on a essayé de développer des caractères avec une certaine profondeur psychologique, comme on peut le voir dans le cinéma.

Quelle a été la genèse de BGE ?
Très compliquée, elle est passée par de multiples phases pendant les quatre ans qu'a duré le développement. A l'origine Michel Ancel voulait procurer une impression de liberté d'action dans un univers vaste. Rapidement, on s'est rendus compte qu'il fallait mettre en place un ping-pong permanent entre game design et scénario, qui impliquait de nombreuses réécritures.

Dans le jeu, Jade, l'héroïne journaliste, aidée de son oncle cochon adoptif Pey'j, renverse un régime dictatorial en photographiant et publiant les preuves de ses méfaits, provoquant ainsi la rébellion de la population. C omment s'est passée l'écriture ? Par quoi avez-vous commencé ?
On avait envie que les moyens d'action de Jade soient peu violents. On a donc eu l'idée de l'appareil photo, qui elle-même a entraîné le thème du complot contre lequel l'information est une arme efficace. Le contexte du monde totalitaire nous est venu ainsi. Sinon, graphiquement, toute l'équipe est fan de Miyazaki, il y a une inspiration affichée. Pey'j, le cochon, peut être pris comme un clin d'œil à Porco Rosso.

Dans les meilleures scènes de BGE, on participe souvent à l'action tout en ressentant et comprenant les enjeux du scénario. C'est assez rare dans un jeu vidéo.
Oui, en permanence, on a essayé de faire en sorte que les enjeux de narration soient exprimés par le gameplay, c'était au cœur de nos préoccupations dès le début et ça nous a à la fois contraints et portés. On est souvent partis de l'émotion à transmettre, puis on a imaginé comment la traduire dans le gameplay. Par-dessus, il y a les dialogues, qui sont là pour ajouter une couleur au personnage, mais c'est la garniture. Par exemple, à un moment du jeu, Pey'j disparaît, et on voulait que le joueur sente un vide, un manque affectif et ludique. On a donc donné à Pey'j une grande utilité dans le gameplay -il nous aide, il a des pouvoirs. On a même rajouté un niveau, celui sur l'Ilot Noir, dans l'unique but d'augmenter le temps passé avec Pey'j et l'attachement du joueur. Ca a fonctionné : j'ai eu beaucoup d'échos de gens qui ont vraiment vécu cette séparation comme douloureuse -certains regrettaient même de ne plus pouvoir discuter avec Pey'j après avoir fini le jeu (rires).

Quelle est selon vous la cinématique la plus marquante du jeu ?

Jade habite, avec Pey'j et quelques enfants, dans un phare aménagé en orphelinat. A un moment du jeu, Jade revient, et le phare est détruit. Je pense que cette scène a été une étape dans le savoir-faire du studio. C'était un type de sentiment qu'on n'avait jamais traité, un événement si fort, si important pour Jade et le scénario que nous devions prendre le temps de le montrer correctement. Le synopsis de cette cinématique tient en deux lignes, pourtant elle dure plusieurs minutes car nous avons tenu à faire de longs plans pour laisser l'émotion s'installer. D'habitude, on préfère que les cinématiques soient très courtes pour ne pas briser le rythme et éviter que le joueur ne les zappe.

Vous avez étudié aux Beaux-Arts et collaboré à des séries animées comme Rahan. Ce parcours vous a-t-il aidé dans votre compréhension des enjeux visuels de l'écriture ?
A un moment, il y a une énigme dans BGE où il faut réparer un ascenseur, ce qui implique de tirer sur plusieurs câbles électriques. Pendant les nombreux tests que nous avons effectués, les joueurs n'ont pas trouvé le dernier câble, même au bout de 15-20 minutes –à ce stade, on considère généralement que c'est raté et qu'il faut revoir la copie. En même temps, on n'a pas voulu faire dire à Pey'j : "Hé, essaie de tirer sur ce câble, là-bas !" (rires). Ca aurait ramené trop brutalement le joueur aux mécaniques de gameplay, ça aurait affecté le plaisir de la découverte et l'illusion de choix. Finalement le game designer Sébastien Morin a eu l'idée de mettre un rat sur le fil, et là, les joueurs ont compris. Les indices non-verbaux, c'est toujours ce qu'on recherche. Idéalement les dialogues sont plutôt là pour raconter l'histoire et les rapports entre les différents personnages que pour donner des infos de gameplay.

Beaucoup d'éléments narratifs, dans BGE, passent par l'univers –les objets de la maison de Jade évoquent son passé et son présent, les graffitis sur les murs de la ville manifestent le soulèvement progressif de la population…
Oui, il fallait qu'on suggère ça sans pouvoir montrer des millions de gens à cause des contraintes techniques. Quand on s'approche de petits groupes on sent que les gens discutent des révélations faites par Jade, des écrans géants diffusent des discours de propagande, on peut s'abonner au journal des rebelles, au journal officiel… Il y a une foule d'informations que le joueur rencontre s'il va les chercher.

Dans BGE, l'émotion, la fluidité de la narration prévalent. A la fin notamment, le challenge est quasiment absent pour éviter des "Game Over" répétés qui auraient brisé le rythme et l'implication du joueur… C'est un choix assez inhabituel.
C'est vrai qu'en général, les jeux sont de plus en plus difficiles à mesure que la fin approche. Mais là, on avait tellement de choses à mettre en place vers le climax, et on voulait tellement conserver le tempo, qu'on a décidé de faire l'inverse. D'autant que c'est très varié : il y a beaucoup de phases, de gameplay différents jamais abordés auparavant dans le jeu. On ne pouvait pas prendre le risque de lancer de nouveaux apprentissages, donc on les a rendus faciles. En fait, toute la fin de BGE a été assez délicate à mettre en place. Il y avait pas mal d'intrigues entamées à conclure. Les retrouvailles de Pey'j, la révolution des hylliens, le sort du général Kheck, des hylliens prisonniers, des enfants du phare, la rencontre avec le grand prêtre Domz, le devenir de Jade. C'était un sacré casse-tête de faire tenir l'ensemble en si peu de temps -d'ailleurs on a basculé le retour au phare sous forme de photos au mur dans le générique.

Quels problèmes pose l'écriture ? Par exemple, le personnage est censé connaître l'environnement mais ce n'est pas le cas du joueur…
Oui, c'est toujours délicat, notamment pendant les scènes d'exposition. Jade a 20 ans, donc elle est censée connaître son monde par cœur. Les personnages doivent transmettre mille informations à Jade et au joueur, sans que Jade soit tentée de répondre : "Mais pourquoi tu me dis ça, je sais bien qu'il y a un garage à 200 mètres de chez moi ?" (rires). Cela doit avoir l'air d'une discussion normale, naturelle.  

Comment s'est passé le doublage ?

J'ai supervisé les voix anglaises. La plupart des acteurs venaient du théâtre et j'étais vraiment satisfait de leur travail. On s'est donnés le temps de faire quelque chose de bien, j'ai été assez exigeant, assez précis dans les émotions qu'on voulait communiquer. Il faut être vigilant sur le jeu de chaque réplique car il y a parfois des intentions qui ne passent que par l'interprétation et qui sont absentes du texte lu au premier degré.

Les voix françaises sont très réussies.
Oui, j'ai d'ailleurs une anecdote sur le doublage. Quand la dépanneuse du garage mammago vient à notre secours dès notre première sortie en hovercraft, le jingle est une chanson qui dit "Maaaaaammago dépannaaaage service... vient te chercher sans le vice...". Cette phrase ne veut pas dire grand-chose, elle a été complètement improvisée par l'acteur, Martial Leminoux. Elle était si naturellement stupide qu'on l'a gardée.

Comment le projet King Kong a-t-il démarré ?
BGE n'a pas marché autant qu'on l'aurait voulu, mais Peter Jackson y a joué et l'a beaucoup aimé, pour toutes les raisons dont nous venons de parler. Peter est avant tout un conteur d'histoire et notre approche l'a séduit. Au départ, Peter a d'abord pris une grande après-midi avec nous pour nous raconter tout son film dans l'état où était le script à l'époque. La salle était recouverte de recherches graphiques qui suivaient le déroulement du film. On a vu qu'il était assez calqué sur l'original de 33. Puis il y a eu plusieurs réunions sur le gameplay, où il a proposé qu'on joue alternativement Jack et Kong. A l'époque le scénario était en cours d'écriture, je suis allé le lire quelques mois plus tard à Londres aux studios Universal mais je pouvais seulement le consulter sur place en prenant des notes.

Quelles modifications avez-vous dû opérer par rapport au film ?
On a pris des initiatives qu'on est allés présenter à Peter Jackson. Par exemple, on démarre directement sur l'île, alors que le film commence à New York, puis continue sur le bateau. Jackson était ok, mais de notre côté ça a eu des conséquences sur l'exposition et la présentation des personnages. On plongeait tout de suite dans l'action, alors que dans le film toute la relation entre Jack Driscoll et Ann Darrow se développait avant, sur le bateau. Du coup, on a rajouté quelques niveaux entre le débarquement sur l'île et l'enlèvement de Ann par les indigènes, notamment des moments de solitude avec Ann pour laisser le temps au joueur de faire connaissance avec elle, de s'y attacher un peu.

Le fait de jouer à la fois Kong et Jack a-t-il posé des problèmes ?

Oui, il y avait un risque de "schizophrénie" potentielle pour le joueur si on le plaçait dans des situations où en tant que Jack il pouvait blesser Kong, ou inversement. Nous sommes sortis de ce problème en limitant au strict minimum les rencontres Jack/Kong. Il y avait la scène mythique du tronc qui était un passage obligé et pour les autres cas, nous avons dû nous arranger pour que Jack ne puisse jamais nuire à Kong : soit il est attaché pendant l'enlèvement de Ann, soit il est en train de nager (et donc ne peut pas tirer) pendant la scène où il est témoin, dans la grotte, d'un face à face pacifique entre Ann et Kong, soit Kong passe de manière rapide et hors d'atteinte. A l'écriture du scénario, j'en étais même arrivé, pour m'aider à structurer les séquences, à considérer que Jack et Kong (qui allaient être incarnés par un seul et même joueur) devaient être traités comme un seul et même personnage (que j'appelais "Jackong") pouvant se présenter sous deux apparences. En effet Kong et Jack ont un but commun : Ann mais utilisent des moyens différents pour l'atteindre. En définitive, l'amour de "Jackong" pour Ann ne pourra survivre qu'au prix de la mort du côté "Kong" et bestial qui est en lui. Cet artifice complètement invisible m'a été d'un grand secours pour explorer et exploiter le thème de "la belle et la bête" qui sous-tend le mythe de Kong.

Quel a été l'apport de Philippa Boyens, la scénariste du film ?
J'ai travaillé à plusieurs reprises avec elle, non pas sur le scénario, car nous étions déjà bien engagés dans nos choix, mais sur la relecture de tous les dialogues US. Elle a assuré également la direction d'acteur des séances d'enregistrements des voix US avec les acteurs du film.

Dans KK, comme dans BGE, c'est l'émotion à transmettre qui guide les mécaniques de jeu.

Oui. Cette fois, nous devions exprimer la peur, la survie, l'immersion dans un milieu hostile, la notion de solidarité pour les phases de Jack Driscoll, et la puissance, la bestialité pour les phases Kong. De surcroît, il y avait la relation de "Jackong" avec Ann à mettre en valeur. Ces objectifs ont déterminé nos choix de game design. Dans les phases avec Jack, il n'y a pas d'indications à l'écran, les munitions sont limitées, l'usage de la lance est mis en avant pour qu'on se sente vraiment dépendant de l'environnement, en bas de la chaîne alimentaire, Ann soigne les compagnons qui nous sont utiles au combat, ce qui la rend elle aussi importante à nos yeux… Les parties avec Kong, du coup, ont été plutôt conçues comme des récompenses, pas trop difficiles, après avoir imposé au joueur des phases plus stressantes dans la peau de Jack.

KK est un jeu très dense, très compressé.

On a pris cette décision dès les premières réunions. On était tenus de suivre un fil narratif, aller libérer Ann, et si on voulait que ça reste un objectif dramatique, les niveaux devaient être très linéaires. Pour apporter de la variation, on a multiplié les manières de se débarrasser des monstres.

Il y a, dans BGE comme dans KK, une volonté de limiter la facticité de l'univers de jeu. Quelles difficultés cela a-t-il posé ?
Beaucoup, et ça a fait l'objet de pas mal de débats au sein de l'équipe… Certains d'entre nous disaient qu'on se prenait le chou pour rien, que c'était un jeu, que c'était de la logique de jeu, et c'est une attitude qui se défend. Mais, peut-être est-ce lié à mon passé hors jeu vidéo, j'avais plutôt l'intention de créer un monde cohérent, et Michel Ancel voulait absolument justifier chaque détail. Ça a tout complexifié, mais je pense que ça a donné une vraie plus-value. Par exemple, l'inventaire de BGE : on voulait qu'il ne soit pas magique, sorti de nulle part. La toute première fois qu'on le consulte, on voit la main de Jade qui appuie sur les boutons, pour expliquer que ce cercle qu'on voit dans l'inventaire, c'est celui qu'on voit sur la ceinture de Jade. Techniquement, pour mélanger cette main à cet inventaire, ça nous a pris plusieurs jours ! Ca peut paraître risible, mais on était attaché à cette idée d'un univers uni où tout a sa place. Bien sûr, il y a énormément d'excellents jeux qui ne procèdent pas comme ça…

En revanche, dans KK, les mécaniques réalistes, notamment les leviers qu'on doit retrouver pour déclencher les portes, se répètent tellement qu'elles finissent par souligner l'artificialité du gameplay.
Il y a eu des tas de versions des portes. Au début il y avait un interrupteur automatique, et ça faisait très bizarre et décalé dans ce monde où, selon Peter, une vieille civilisation a vécu il y a 3 ou 4000 ans –les indigènes de l'île n'ont pas construit les murs, ils se sont installés dans les ruines il y a un siècle ou deux… On voulait donc quelque chose de physique, de crédible. C'est un des problèmes du réalisme, qui était imposé par le film : dans ce monde-là, c'est compliqué de trouver des éléments vraisemblables pour contrôler la progression du joueur. Leviers, ronces, branches… C'est restreint. Avec les leviers tournants, les portes sont plus longues à s'ouvrir, mais j'ai pu utiliser ces moments d'immobilité pour développer les échanges, les dialogues avec les personnages, car c'était un des rares moments où je savais où était le joueur.

Il y a également un travail d'écriture dans l'intelligence artificielle.
Oui, c'est Christophe Beaudet qui a programmé l'IA de tous les humains. Nous avons beaucoup travaillé pour définir ce qu'ils doivent faire et dire dans telle ou telle situation... C'était bien plus complexe que pour BGE à cause du réalisme, qui est une référence quotidienne pour tout le monde : un pet de travers et ça se remarque tout de suite. C'est très difficile de tomber juste, alors que dans BGE, le monde a ses codes propres, on est prêt à accepter beaucoup plus. Les émotions sont représentées de manière iconique, il suffit de les évoquer suffisamment bien pour créer une empathie et c'est le joueur qui rajoute ce qui manque.

Les procédés narratifs utilisés dans BGE et KK sont très différents.
Oui, dans KK on voulait absolument que le joueur contrôle toujours le personnage dans les niveaux avec Jack, que la narration passe entièrement par des scripts et non par des cinématiques. L'inconvénient, c'est qu'il faut développer beaucoup d'astuces pour attirer l'attention du joueur. Des astuces visuelles : des boyaux, des lignes de force qui amènent les yeux à un endroit précis, des compagnons qui nous précèdent et qui se dirigent vers le lieu où va se dérouler l'action... Ou sonores : quelqu'un qui parle, qui nous appelle… Par exemple, à la première arrivée du T-Rex, quand il défonce le pont avec les deux marins, on voulait évaluer si les joueurs allaient bien voir la scène, car il ne fallait pas qu'ils partent et la ratent. Et l'immense majorité d'entre eux s'orientaient dans le bon sens. Toutefois, je pense que le script se prête surtout aux émotions primaires, inscrites dans le gameplay : la panique, la fuite, l'aide immédiate aux personnages… Dans BGE, la séquence du phare n'aurait pas bien fonctionné en script, je pense. Il fallait une emphase cinématographique pour insister sur l'émotion.

Vous inspirez-vous d'expériences personnelles pour écrire ?
Pour KK, j'étais aux anges car je suis un passionné de jungle, j'ai fait plusieurs expéditions de survie en solitaire au Gabon, au Pérou, en Equateur et en Guyane, où j'ai passé 15 jours à traverser la forêt vierge sans voir personne. Quand je suis rentré je devais présenter le scénario à Peter un mois et demi plus tard. J'avais des tas d'images en tête, ça m'a beaucoup nourri pour mes croquis, mon prédécoupage en séquences. Une anecdote : en Guyane, il y a ce qu'on appelle des mouches à feu, des espèces de grosses guêpes noires de quatre centimètres dont les piqûres brûlent -j'en ai été souvent victime, j'avais la gueule déformée. On les retrouve dans le jeu : quand tu vas trop loin dans les marais, elles bloquent le chemin et t'attaquent pour te forcer à faire demi-tour.

Quels sont les jeux ou films qui vous ont le plus impressionné, notamment du point de vue de l'écriture ?
Ico. Les mécaniques de gameplay et l'animation fourmillent de détails presque invisibles qui caractérisent les persos et créent une relation intense, quasi muette, entre le héros et Yorda. Par exemple, la détermination du garçon est exprimée par sa manière super énergique de tirer et pousser les caisses. Sinon, j'adore Miyazaki, surtout ses films les plus épurés comme Totoro, dont la force évocatrice est énorme. Par exemple dans la scène mythique de l'arrêt de bus, avec le parapluie, il ne se passe rien et c'est fabuleux, magique. C'est très compliqué de faire simple, de taper juste à ce point.

Pourquoi, d'après vous, le jeu touche-t-il moins de monde que le ciné ?
Matériellement, c'est facile d'aller dans une salle de cinéma, d'aller voir un type de films qu'on n'irait pas voir d'habitude. En revanche, pour un non joueur qui n'a pas de console, c'est compliqué de sortir et d'aller dans un magasin en se disant "Hop, achetons une console et ce jeu dont on me parle, des fois que je deviendrais joueur" (rires). Je pense que c'est une des raisons très élémentaires, mais très importantes, qui expliquent la difficulté de changer les mentalités, les préjugés sur le jeu vidéo -sur consoles en tout cas.

Quels sont vos projets ?
Je ne peux rien en dire, si ce n'est qu'aucun BGE2 n'est malheureusement prévu.

>>> De gauche à droite : Jacques Exertier, Michel Ancel, Peter Jackson, Xavier Poix.



















































































































































































































































































































































 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 






>>> Ci-dessous : quelques-unes des recherches faites par Jacques Exertier au début du projet King Kong pour le pré-découpage en séquences présenté à Peter Jackson.

(cliquer sur l'image pour l'agrandir)