Final Fantasy XIII
Article paru dans le n°64 de Chronic'art (avril 2010)
 

La saga de jeux de rôle la plus célèbre du monde revient en haute définition. Après deux épisodes monumentaux – l'un en ligne, l'autre hors ligne - qui exaltaient notre âme d'explorateur, Final Fantasy XIII renoue avec la tradition de la série : raconter une histoire de manière spectaculaire. Mauvaise idée ?

« Je ne fais jamais de films de mystère, disait Hitchcock. Le mystère est un processus intellectuel, quelque chose que le public tente de découvrir. Le suspense, lui, est un processus émotionnel, qui fonctionne quand on fournit des informations aux spectateurs. Quand les événements et personnages sont mystérieux, on ne réalise que tardivement ce que le film raconte. Pour moi, c'est un total gâchis de pellicule, parce que cela ne procure aucune émotion, si ce n'est une simple curiosité ». Sir Alfred n'aurait pas aimé Final Fantasy XIII. Des heures durant, le mystère y prévaut. Plutôt que de s'ouvrir sur des scènes d'exposition, comme le voudraient les règles de la dramaturgie, Final Fantasy XIII plonge directement le joueur au coeur de l'action, au risque de le perdre en chemin. Un choix éminemment contestable, que le directeur artistique Isamu Kamikokuryo défend : « L'un des thèmes clés de Final Fantasy XIII est la vitesse. L'aventure est très longue et nous voulions que le joueur ne s'ennuie jamais, qu'il soit agrippé dès les premières secondes ».

Pourchassés
De fait, Final Fantasy XIII démarre sur un morceau de bravoure. Alors que le joueur avance sur de grandes passerelles dominées par une voûte titanesque, des machines volantes tirent sur le sol et des véhicules de transport de troupes déposent des soldats ennemis : pour l’une des premières fois dans un jeu de rôle japonais, des événements préprogrammés (appelés « scripts ») se déroulent pendant les déplacements au lieu d'être uniquement montrés sous forme de séquences passives. Cette approche dynamique évoque les jeux d'action en vue subjective (FPS) à la Call of Duty, une influence revendiquée par le producteur Yoshinori Kitase : « Pendant le développement de Final Fantasy XIII, qui a duré cinq ans, les FPS n'ont cessé de gagner en popularité, aussi bien en Occident qu'au Japon. Nous avons peu à peu décidé de suivre la même voie ». Au FPS « scripté », Final Fantasy XIII emprunte aussi sa structure extrêmement linéaire. « Les héros sont pourchassés par un gouvernement théocratique, le Sanctum, qui veut les détruire. Les décors doivent traduire cette idée de poursuite, c'est pourquoi nous avons construit des couloirs étroits qui acculent le joueur », se justifie Kamikokuryo.

Accélération
Cette notion de « vitesse » sous-tend chaque aspect du jeu. Toutes les pauses sont éliminées : l'achat d'équipement et d'objets s'opère via des menus et non en visitant des villes, les écrans de chargement sont inexistants... Le déroulement des combats est accéléré : brefs et grisants, ceux-ci se fondent sur des « Stratégies » paramétrables attribuant un rôle à chaque personnage (attaquant, soigneur, tacticien...), le joueur devant constamment passer d'une configuration à une autre selon la situation. Enfin, toute perte de temps, toute frustration sont écartées : les points de sauvegarde sont fréquents, les ennemis toujours visibles (et donc évitables), les nombreux mécanismes de jeu sont introduits de manière très progressive et didactique, un combat entamé peut être recommencé à tout moment et, en cas d'échec, la partie reprend juste avant la dernière confrontation.

Confusion
Le rythme effréné qui résulte de cette multitude de choix audacieux possède une contrepartie : les événements et les lieux s'enchaînent dans une confusion qui étouffe toute émotion. Au début, le joueur ne comprend guère les motivations et les objectifs des personnages, ni l'organisation de la société et de l'univers qu'il traverse - « un total gâchis de polygones », dirait Hitchcock. Des flashbacks essaient certes d'éclaircir, ensuite, chaque élément du scénario... En vain. Pour réellement percer les secrets de Final Fantasy XIII, le joueur est donc contraint de lire une encyclopédie intégrée aux menus, dont la présence même est un aveu d'échec : si la narration du jeu était réussie, l'histoire ne nécessiterait aucune explication de texte...

Tuer les dieux
Derrière ce fatras scénaristique se cache un sujet pourtant intéressant : le refus de se soumettre à ce que des dieux (au sens large) ont soi-disant décidé pour nous. « Les protagonistes du jeu, condamnés par de puissants êtres mécaniques qui leur ont assigné une « Tâche », combattent le destin qui leur est imposé, précise Kitase. Nous nous sommes inspirés du Japon actuel : notre pays connaît une longue récession, une large partie de la population n'arrive pas à s'en sortir, et nous avons voulu dire à ces personnes de garder le courage de lutter ».

Libération
« Garder courage » : ce conseil vaut aussi pour les joueurs de Final Fantasy XIII. En effet, c'est après avoir subi des kilomètres de couloirs et des centaines de combats que les guerriers les plus déterminés accèderont enfin aux meilleurs chapitres. Au bout d'une vingtaine d'heures de jeu, une terre sauvage et démesurée se déploie : Gran Pulse. Le contraste avec ce qui a précédé est libérateur : c'est un océan d'oxygène, un choc esthétique, une épiphanie. A partir de cet instant, et jusqu'à la conclusion, certains des lieux et des créatures les plus grandioses de l'histoire du jeu vidéo vont se dresser devant nous. Final Fantasy XIII nous entraîne alors dans un voyage munificent et inoubliable. Celui-ci est, hélas, fort tardif. Mais il se montre à la hauteur de l'attente.