Interview : Gonzalo Frasca
Article paru dans le n°5 de Gaming (mars 2004)
 

D
epuis quelques années, et notamment suite au 11 septembre, les newsgames –jeux inspirés d'événements réels- pullulent sur le Net et dans les magasins. Ancien journaliste à CNN Espagne, fondateur du studio uruguayen Powerful Robot Games dont il supervise et produit les jeux, responsable du site Ludology, chercheur au sein d'un centre d'étude vidéo-ludique de l'université de Copenhague dirigé par le pionnier Espen Aarseth, Gonzalo Frasca a créé September 12th, un petit jeu en Flash sur la "guerre contre la terreur", qui annonce l'émergence d'une forme interactive de caricature politique. Interview.

Gaming. : Quel est le principe de September 12th ?

Gonzalo Frasca : Le jeu modélise une ville du Moyen-Orient dont les habitants sont essentiellement des civils, et quelques terroristes. Le joueur dirige une croix avec laquelle il est possible de lancer des missiles. Il est quasiment impossible de tuer des terroristes sans engendrer des "dommages collatéraux". A chaque fois qu'un terroriste meurt, certains habitants le pleurent et, soudainement, deviennent eux-mêmes des terroristes. Après quelques minutes de jeu, le nombre de terroristes est incontrôlable.

Quelles ont été les réactions des développeurs, des joueurs et des journalistes ?

Comme je m'y attendais, elles ont été variées. Le jeu a généré énormément de réponses passionnées, ce qui, à mon sens, a prouvé son succès (ordinairement, seule la violence des jeux provoque de fortes réactions, rarement leur contenu politique). Plus de 150.000 personnes ont essayé le jeu depuis son lancement en octobre 2003. Les journalistes ont globalement été intéressés, mais méfiants -il faut dire que les dessins politiques méritent rarement le prix Pulitzer (sourires). Certains développeurs l'ont aimé, d'autres pas. L'industrie a des règles claires sur la façon de juger un jeu : il doit absolument être amusant et nous accrocher pendant des heures. Mon objectif était de briser ces catégories qui, je pense, ont été tenues pour acquises pendant trop longtemps. Je ne voulais certainement pas créer le prochain Tetris. Le jeu vidéo peut aussi nous faire réfléchir sur le monde.

Quel avenir prédisez-vous à ce type de jeux engagés ?

Je pense qu'ils n'atteindront pas leur potentiel créatif et commercial avant quelques années, voire une décennie. Ils ont une chance d'avoir un rôle dans les journaux online. Des petits jeux réalisés avec Flash ou Shockwave comme September 12th permettent d'expérimenter, de prendre des risques et de toucher un vaste public, car leur développement coûte bien moins cher et prend bien moins de temps que celui d'un jeu mainstream.

Quels sont vos derniers travaux ?

En décembre 2003, nous avons terminé et lancé le premier jeu vidéo officiel pour une élection présidentielle américaine. Il nous a été commandé par Howard Dean [ex-gouverneur démocrate du Vermont]. Développé en deux semaines, il était destiné aux partisans de Dean. L'idée principale n'était pas de convaincre de nouveaux sympathisants mais plutôt de montrer aux électeurs de Dean ce qu'ils pouvaient faire pour l'aider dans le scrutin en Iowa.

Les journalistes spécialisés doivent-ils analyser l'idéologie des jeux ?

A mesure que les jeux vidéo gagneront en maturité, ils continueront nécessairement à parler de nos vies et à soulever des problèmes idéologiques -c'est le cas de Medal of Honor : Soleil Levant, d'America's Army, le jeu multiplayer développé par l'armée US pour recruter des soldats ou de Under Ash, où l'on incarne un Palestinien qui se bat contre les Israéliens. Par conséquent, les critiques commencent à s'intéresser à cet aspect des jeux. Et ils ne doivent pas cesser de le faire.



>>> Aller plus loin

Trois sites de référence sur les jeux idéologiques, "documentaires", éducatifs, publicitaires… :

www.watercoolergames.org
www.socialimpactgames.com
www.planetjeux.net

>>> "Les jeux et les simulations ne sont pas seulement une distraction, ils peuvent également nous faire réfléchir sur le monde"