Super Mario Galaxy
Article paru dans le n°41 de Chronicart - décembre 2007
 

Jeu clé de la triomphale Wii, nouvel épisode de la série emblématique de Nintendo cinq ans après Super Mario Sunshine, l'extravagant Super Mario Galaxy est déterminé à séduire le monde entier... au risque de trahir ses aînés ?

Dans Super Mario Galaxy, vous verrez un plombier rondouillard écraser des champignons belliqueux sur des astres en forme de pommes. Des taupes géantes aux grognements improbables. Des boulets de canon qui aboient en sortant de leur niche. Dans ces conditions, difficile d'imaginer qu'en vingt-deux ans et huit jeux, la saga Super Mario a révolutionné deux fois le jeu vidéo dans son ensemble (en 1985 et en 1996, avec les épisodes Bros. et 64). Et repoussé les frontières du jeu de plateforme pour le croiser avec le jeu d'aventure, fondé sur l'exploration et l'utilisation d'objets. Pareillement, difficile de réaliser que Super Mario Galaxy est l'histoire d'un deuil, et celle d'une renaissance. Deuil des précédents épisodes de la série, qu'il tente de synthétiser mais dont il échoue à conserver les spécificités. Renaissance d'un Nintendo perfectionniste et généreux, déterminé à commercialiser des jeux achevés.

Montagnes russes
Un deuil, donc. Ce Super Mario compte quarante galaxies. En terminant les différents chemins et épreuves qu'elles contiennent, Mario obtient des étoiles. A mesure qu'il en accumule, de nouvelles galaxies se dévoilent. De sorte que, rapidement, le joueur accède à de nombreux mondes, qu'il visite dans l'ordre qu'il choisit –une structure identique à celle des précédents Super Mario en 3D. Mais cette liberté ne s'étend pas aux niveaux eux-mêmes, nettement plus linéaires et restrictifs que d'ordinaire. La plupart des galaxies se composent en effet d'une succession de petites planètes bigarrées, formant de brèves missions. Pour se propulser d'un astre à un autre, Mario suit généralement une trajectoire préprogrammée tandis que des angles de caméra spectaculaires embrassent les décors. Le rôle du joueur se réduit alors à ramasser des cristaux dans les airs en pointant la télécommande de la Wii. Un gameplay superficiel qui évoque davantage les jolies montagnes russes du hérisson bleu Sonic que le tempo malléable et les mécaniques de jeu élaborées de la mascotte de Nintendo. Mario peut certes voyager d'une planète à une autre en sautant, en s'accrochant à des tiges de fleurs portées par le vent ou en étant projeté par un canon. Malheureusement, ces moments d'autonomie relative du joueur s'avèrent trop rares.

Fragmentation
De la même manière, les costumes abeille, flamme ou fantôme de Mario se limitent à des utilisations insipides et à des lieux très précis : voler poussivement d'une fleur à une autre, allumer des torches ou traverser les murs. Le Jerrican Expérimental Transformable (!) de l'épisode antérieur de la série, Super Mario Sunshine (2002) offrait pourtant des usages multiples et permanents : arroser droit devant soi ou en tournoyant, planer, décoller, filer sur l'eau ou même glisser sur le ventre à toute vitesse sur une surface humide. Ces actions jubilatoires permettaient de changer de trajectoire en plein saut, d'accéder à de nouveaux lieux, d'inventer ses propres itinéraires, de varier ses attaques... Cette flexibilité et cette ivresse du mouvement dans des environnements complexes manquent à Super Mario Galaxy, peu innovant et trop contraignant à cet égard. Excessivement fragmenté dans l'espace (astres minuscules) et le temps (séquences courtes), le jeu ne laisse pas ses innombrables idées briller réellement. Et lorsque, notamment dans son dernier tiers, il rend hommage aux niveaux plus vastes de Super Mario 64, il n'en livre que des succédanés plats et simplistes, dépourvus des structures gigognes, des passages secrets ou des énigmes lumineuses qui donnaient aux meilleurs d'entre eux un parfum de mystère et d'inattendu.

L'obsession de plaire
Selon le président de Nintendo lui-même, Satoru Iwata, Super Mario Galaxy vise à pousser tout le monde à jouer, y compris le public profane conquis par le Programme d'Entraînement Cérébral du Dr Kawashima mais ne connaissant pas Mario. Le jeu se veut donc accessible : irrésistiblement rythmé, plutôt facile, découpé en une pléthore d'apéritifs divers (séquences en 2D, courses...), il se picore commodément. Un deuxième joueur muni de la télécommande Wii peut se joindre à la partie et aider Mario en pointant des ennemis pour les paralyser, ou des cristaux pour les attraper. Quant aux espaces morcelés, ils évitent les allers-retours et indiquent clairement la direction où aller (plus l'aire de jeu est petite, plus il est simple pour la caméra de la montrer intégralement). Autant de choix qui évitent aux joueurs non habitués à la 3D d'être bloqués, de se perdre ou de se désintéresser de l'action.

Notre-Dame de la plateforme
Que reste-t-il, alors, pour les inconditionnels de Mario ? D'abord, une demi-douzaine de niveaux d'une rare et étourdissante virtuosité, descendants directs des parcours les plus abstraits des épisodes 64 et Sunshine. Ces véritables cathédrales de plateformes utilisent toute la grammaire du genre en l'espace de quelques secondes. Sporadiquement, elles la réinventent, défiant les lois de la physique, bouleversant constamment les repères du joueur : la gravité attire tour à tour Mario vers le haut, le bas, la droite et la gauche de l'écran, la structure des niveaux se construit et se défait sous ses pas en un effet extrêmement impressionnant... Peu nombreux mais inoubliables, ces niveaux justifient à eux seuls l'existence du jeu. Plus largement, Super Mario Galaxy dénote des qualités de présentation et de finition exceptionnelles. C'est sur ce point que se manifeste la renaissance de la société de Kyoto. Sorti précipitamment, Super Mario Sunshine rompait avec la réputation de méticulosité et de complétude habituellement associée à Nintendo : missions répétées de façon éhontée, faiblesse des derniers niveaux, éléments de gameplay atrocement intégrés (Yoshi), erreurs de programmation... Homogène, foisonnant, plein, Super Mario Galaxy dissipe ces mauvais souvenirs dès les premières minutes. Même ses passages les plus banals démontrent un amour évident du travail bien fait, du détail qui frappe. Sur la glace par exemple, Mario ne glisse pas simplement comme il le ferait dans un jeu de plateforme ordinaire : dans sa course, il reproduit les gestes d'un patineur artistique et saute en effectuant plusieurs tours sur lui-même.

Souffle
Formellement, jamais un Mario n'a été si maîtrisé, si subtil, si épique. Le dynamisme et l'ampleur de la mise en scène, la solidité des cadrages, le chatoiement graphique disneyen emportent le joueur. Un album d'images au trait naïf et aux couleurs pastel, aussi touchant que les plus beaux livres pour enfants, apporte au jeu un arrière-plan émotionnel inopiné. Surtout, la bande-son dépasse en ambition et en souffle tout ce que Nintendo a pu produire jusqu'à présent. Un orchestre d'une cinquantaine de membres –une première pour un jeu Nintendo majeur- interprète vingt-huit morceaux qui osent et réussissent tout : remixes savoureux ou originaux inspirés ; musiques grandioses de space opera ou envolées euphorisantes à la Joe Hisaishi (le compositeur attitré d'Hayao Miyazaki) ; trombones, harpe et même orgue. Les partitions soulignent puissamment la thématique visuelle des niveaux (aérienne, SF, minimaliste...), les arrangements changent sous l'eau, les bruitages associent à certaines actions des notes qui coïncident avec la musique... Mario est toujours ce danseur béat, éternellement jeune, qui bondit dans un monde conçu pour lui. Et plus que jamais, Nintendo veut que le monde entier le suive. Quoi qu'il en coûte.