Interview de Shigeru Miyamoto
Propos intégrés au portrait de Miyamoto paru dans le n°25 de Chronic'art (mai 2006)
 



Depuis Mario 64 vous n'avez pas vraiment dirigé un jeu. Cela vous manque-t-il ?

J'aimerais pouvoir le refaire, mais mes nouvelles fonctions m'en empêchent. Ceci dit, je me suis particulièrement investi dans la conception de certains jeux récents, comme Pikmin ou Nintendogs qui portent vraiment ma marque. Et maintenant que la Revolution est quasiment finalisée, peut-être pourrais-je à nouveau diriger un jeu, j'aimerais beaucoup et je sens que c'est possible.

Vous avez parfois comparé vos jeux à des jardins miniatures, pourriez-vous expliquer cette idée ?

Ce que j'appelle jardin miniature, c'est un lieu d'expérimentation.

Quel est le rôle des phases de test dans l'élaboration de ces jardins ?

Elles ne sont pas tant utiles pour découvrir des bugs que pour déterminer si ce que j'ai voulu transmettre, ce que j'ai voulu que le joueur ressente, est effectivement éprouvé. Si ça ne marche pas, on recommence encore et encore jusqu'à ce qu'on découvre ce qui ne va pas, et à partir de là, on essaie d'analyser la situation pour trouver une solution. Par exemple, pendant le développement du premier Super Mario Bros, certaines personnes disaient que Mario ne se déplaçait pas assez vite. Il aurait été très facile d'accélérer la marche de Mario mais je ne voulais pas le faire. A la place, j'ai accéléré l'animation des pas, des jambes de Mario, et à ce moment-là, tout le monde a arrêté de dire qu'il se déplaçait lentement. En somme, mon vrai travail, ce n'est pas d'écouter les opinions des beta testeurs mais d'observer leurs réactions.

S'agit-il d'une capacité à anticiper les réactions du joueur pour mieux l'étonner, l'amuser, d'une faculté à vous mettre à la place du joueur pour mieux manipuler ses émotions ?

Effectivement, il faut que tout se passe de la façon la plus naturelle possible, que le joueur ne subisse pas des chocs, des barrières dès le début du jeu, qu'il soit surpris, et que cela fasse partie d'un processus de narration qui soit fluide. La fluidité est très importante pour empêcher le joueur de s'extraire du jeu. Il faut constamment l'intéresser, éveiller son attention. Je pense que le rôle d'un directeur de jeu, c'est de savoir très précisément comment faire ressentir quelque chose au joueur avec un maximum d'efficacité. On va par exemple réfléchir aux éléments suivants : lorsque Mario retombe sur le sol, combien de temps doit-il rester immobile pour que ça ait l'air d'un vrai atterrissage ; quand on change de décor, en combien de temps faut-il que le décor suivant apparaisse pour que ça soit agréable... Tous ces détails font que le plaisir de jeu est augmenté et perfectionné, et aujourd'hui ma responsabilité est de choisir des directeurs qui vont comprendre cette démarche et faire le travail comme je voudrais qu'il soit fait.

Quelles émotions ou quelles pensées nouvelles voudriez-vous pouvoir transmettre dans un jeu vidéo ?

Ultimement, je crois que tout un chacun peut créer tout et n'importe quoi, penser, imaginer, construire quelque chose, mais beaucoup de gens ne s'en jugent pas capables parce qu'ils ne l'ont jamais fait ou parce qu'ils n'ont pas eu le courage de le faire. Cette toute puissance créatrice, je n'ai toujours pas réussi à la faire ressentir de manière parfaite dans mes jeux.

Quel aspect de la création de jeu vidéo souhaiteriez-vous voir évoluer ?

Mon rêve le plus fou serait que nos jeux se traduisent tous seuls dans toutes les langues car la localisation est vraiment une horreur pour moi. Comme je ne parle que le japonais, je me demande toujours si toutes les nuances, toutes les subtilités qu'on a mises en place vont être comprises, adaptées… Cela m'angoisse tellement que j'aimerais que tout le monde puisse comprendre nos jeux en japonais (rires). Sinon, plus que la puissance du processeur, ce sont des choses comme les bords de la télé qui me contraignent et que j'aimerais supprimer. Et comme les télés n'évolueront pas avant un moment, la priorité est pour moi de changer les interfaces, et donc les manettes, qui sont selon moi trop compliquées. C'est en ce sens que nous travaillons avec le stylet de la DS et la manette de la Revolution.