Psychonauts
Article paru dans le Libération - "Ecrans" du 8 juillet 2006
 

"L
es écureuils décident de qui doit vivre ou mourir, et des résultats de tous les matchs de foot », affirme fiévreusement un personnage paranoïaque de Psychonauts, dans l’une des dizaines de répliques obsédantes dont il submerge le joueur. L’effet comique est puissant, la sensation d’entrer dans l’univers d’un authentique aliéné ne l’est pas moins. Ce talent pour manier les mots, Tim Schafer, l’auteur de Psychonauts, l’a déjà démontré. Il a donné au jeu d’aventure -un genre très littéraire- deux de ses chefs-d’œuvre, Day of the Tentacle (93) et Grim Fandango (98), marqués par un goût pour l’absurde, l’humour macabre, le folklore, la SF ou le film noir. Avec Psychonauts, il s’attaque au registre populaire du jeu de plateforme en 3D. « Que se passe-t-il dans la tête de ce dingue qui se parle à lui-même dans la rue, ou de cet ami qui pense que le monde entier tourne autour de lui ? L’idée du jeu vient de là », explique Schafer. Chacun des dix niveaux de Psychonauts symbolise ainsi la psyché d’un personnage. Tous les aspects du jeu traduisent cette ambition : l'atmosphère, les situations, les mécaniques, et surtout l’architecture. A l’exception des Mario, des Zelda ou des Katamari Damacy, séries que Schafer admire, très peu de jeux ont exploité la plasticité de la 3D. Psychonauts le fait brillamment : une vertigineuse ville aux rues tordues figure l’esprit d’un fou, un cube uniforme, celui d’un homme très rationnel et organisé, un champ de bataille morcelé, celui d’un militaire dérangé… Psychonauts donne même un nouveau sens aux conventions du genre. On ramasse des « bribes d’imagination », des « souvenirs » ou des « bagages émotionnels », on nettoie des « toiles mentales » encombrantes, on combat ses « démons personnels »… littéralement. Bigarré, empreint d'une poésie inquiétante à la Burton, Psychonauts explore certaines des possibilités infinies qu’offre encore la grammaire, désormais assez stable, du jeu vidéo. Schafer tient la plume, et c’est un grand styliste.