Portrait : Hironobu Sakaguchi, game designer
Article paru dans le n°2 de Gaming (décembre 2003)
 

Vingt ans de métier. 44 millions de jeux Final Fantasy (FF) vendus. A 41 ans, cet homme à la sensibilité exacerbée, star du RPG sur console, héraut de l'éditeur Square, est l'une des personnalités majeures de la pop culture japonaise et mondiale.


Les œuvres d'Hironobu Sakaguchi sont de celles qui imprègnent durablement l'esprit. Rencontrer pour la première fois l'univers de Final Fantasy (FF), notamment, constitue souvent une révélation, un choc sensoriel et émotionnel inoubliable. Et pour cause : durant toute sa carrière, Sakaguchi -producteur exécutif et initiateur des grandes orientations de scénario et de gameplay des FF- s'est entouré d'artistes aptes à mettre en oeuvre sa vision grandiose, foisonnante, onirique et mélancolique du jeu vidéo : l'illustrateur polyvalent Yoshitaka Amano, dont le style opulent évoque Klimt, l'Art Nouveau et Frazetta, définit les personnages et l'ambiance graphique des FF ; le raffiné Nobuo Uematsu compose des musiques tantôt emphatiques tantôt délicates, empreintes d'une naïveté, d'un romantisme devenus indissociables de la saga.

En 91, cette somme de talents aboutit à une première réussite, FF4 (SFC), où Sakaguchi atteint partiellement ses buts déclarés : raconter une histoire captivante et épique, donner vie à des personnages possédant une réalité et une consistance capables de susciter l'empathie. Dès lors, Sakaguchi et son équipe enrichissent et affinent leurs outils d'expression. Yoshinori Kitase, cinéaste frustré, donne corps aux ambitions visuelles et narratives de Sakaguchi en utilisant, à partir de FF6 et surtout FF7, des techniques empruntées au septième art (travail sur les angles et mouvements de 'caméra', la profondeur de champ…). S'ensuivra un film d'animation photoréaliste spectral et désespéré, Final Fantasy : The Spirits Within.

Grandiloquence

FF6 (SFC, 94) suit une jeune fille amnésique dans un univers fantastique qui entre dans sa première révolution industrielle. D'une grandiloquence visuelle et musicale (l'orgue tour à tour apocalyptique et lumineux du final) souvent foudroyante, sublimement rythmé et 'mis en scène', virtuose dans sa façon d'exalter le sentiment de liberté du joueur, FF6 est, aux yeux de nombreux gamers, le chef-d'oeuvre absolu et intemporel de la série.

Chrono Trigger (SFC, 95), fruit d'un partenariat inédit entre Sakaguchi, Yuji Horii (auteur de Dragon Quest, l'autre grande saga de RPG japonais), et Akira Toriyama (le créateur de Dragon Ball), est une variation nostalgique, ensorcelante et audacieusement structurée sur le thème des voyages dans le temps, qui en extrait intelligemment le potentiel ludique (chaque action du joueur a une conséquence dans le futur) et poétique (y sont décrits l'évolution d'un monde, sa destruction et ses décombres).

Quant à FF7 (PSOne, 97) et au film FF (01), ils constituent les œuvres les plus intimes de Sakaguchi, hantées l'une comme l'autre par le décès de sa mère et par le shintô (ensemble de croyances animistes encore très présentes dans l'inconscient collectif japonais).

Devenu freelance en 2002, Sakaguchi a fondé son propre studio, Mist Walker, en 2004. Il travaille actuellement, pour Microsoft, sur deux RPGs exclusifs Xbox 2.

NB : La plupart des FF sortis sur FC et SFC ont été convertis sur PSOne, seuls (FF6) ou sous forme de compilations (FF Origins réunit FF1 et FF2, FF Anthology réunit FF4 et FF5).


>>> Dates




83
: Entre dans la petite société qui deviendra Square en 86. Fort de son expérience de programmeur, il fait montre, instantanément, d'une compréhension aiguë des contraintes créatives qu'impose le jeu vidéo.

87 : Final Fantasy 1 (NES).

94 : Final Fantasy 6 (SFC).

95 : Chrono Trigger (SFC).

97 : FF7, premier FF à ne pas sortir sur une console Nintendo, et premier blockbuster de l'histoire du RPG console (30 millions de dollars de budget, une centaine de personnes impliquées), permet à la PSOne de distancer irrémédiablement la Saturn au Japon, alors que les deux machines étaient auparavant au coude à coude. Il impose enfin le RPG dans l'imaginaire des joueurs occidentaux, jusque là imperméables au genre, et devient l'un des plus gros succès PSOne avec 8 millions d'ex vendus.

00 : L'Academy of Interactive Arts and Sciences, composée de professionnels, remet à Sakaguchi un prix récompensant l'ensemble de sa carrière –l'équivalent vidéo-ludique de l'oscar d'honneur.

01 : Réalise le film Final Fantasy : The Spirits Within, en production depuis quatre ans, et qui rapporte seulement 32 millions de dollars aux Etats-Unis alors qu'il en a coûté 137.

02 : Suite à l'échec du film FF, il démissionne du poste de vice-président de Square qu'il occupait depuis 91 et devient consultant et producteur exécutif extérieur.

02 : Fan d'Everquest, il fait de FF11 (PS2, PC) un MMORPG, dont une grande partie du contenu narratif naît des interactions entre les joueurs.

>>> Sakaguchi est un grand cinéphile, proche de Cameron par l'ampleur des moyens qu'il déploie, les univers SF et fantastiques qu'il affectionne, et la fusion de grand spectacle et d'intimisme à quoi il aspire.