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A l'occasion
du Forum International Cinéma et Littérature de Monaco,
longue rencontre entre Enki Bilal, dessinateur et réalisateur
(La trilogie Nikopol), Yoshitaka Amano, illustrateur, peintre et créateur
d'univers (Final Fantasy) et Michel Ancel, game designer (Rayman, Beyond
Good and Evil, King Kong).
JVM : Qu'appréciez-vous dans ce festival
?
Bilal : J'aime son principe : la transversalité, qui
est une discipline très mal pratiquée en France, commence
à se faire enfin, et ici, c'est la règle. On fait se rencontrer
les milieux du livre, de la production, de la BD, du graphisme, du jeu
vidéo... et cela peut créer des projets, des potentiels
créatifs assez puissants et novateurs. J'ai d'ailleurs accepté
le poste de président d'un jury qui désigne la meilleure
BD adaptable à la télévision ou au cinéma.
C'est un prix bancal, bâtard, mais cela ne me pose aucun problème
car cela fournit une vitrine au vainqueur et aux sélectionnés.
Des contacts, des projets peuvent s'établir grâce à
ces prix.
Ce matin vous disiez avoir appris lors
de ce forum.
Bilal : Oui, au sujet du jeu vidéo. Je suis encore naturellement
méfiant envers le jeu car c'est quelque chose qui est en train
de prendre énormément d'importance et que je ne connais
pas - je n'ai jamais joué à un jeu vidéo. Mais
j'ai accepté que mon oeuvre soit adaptée en jeu vidéo,
parce que j'aime l'ouverture et la prise de risques - je n'ai jamais
fait de film formaté par exemple.
Et vous Michel ?
Ancel : Je rejoins Enki. Le jeu vidéo a beaucoup à
gagner dans la rencontre et la connexion avec d'autres milieux. J'étais
enchanté de savoir qu'on allait partager des interviews, des
débats, des ateliers pour voir la même création
sous différents points de vue... Le jeu vidéo doit continuer
à s'enrichir auprès d'autres media. Ce serait un énorme
danger pour le jeu vidéo de se scléroser, de s'auto-suffire,
on se retrouverait toujours avec les mêmes produits.
Bruno Bonnell a dit ce matin qu'il n'y
a pas d'auteurs dans le jeu vidéo...
Bilal : Ce sont des mots.
Ancel : Oui... (il éclate de rire) J'ai l'impression que c'est
une façon de dire que l'acte de création est le fruit
d'un effort commun : on n'est pas auteur de jeu vidéo comme on
peut l'être en travaillant seul chez soi...
Bilal : Chacun peut interpréter cette phrase à sa manière.
Mais par exemple moi j'ai fait une bande dessinée d'auteur, la
trilogie Nikopol, et elle va se retrouver fabriquée sous forme
de jeu vidéo. Est-ce que ce sera un jeu d'auteur, je n'en sais
rien. Pour ses jeux, Benoît Sokal a, j'imagine, tout investi :
il a défini les séquences, l'interactivité. Moi
j'ai simplement donné un accord pour qu'on utilise mon personnage.
La matière première vient de moi, et j'accompagne la création.
Ce sera peut-être un produit d'auteur dans la mesure où
il ne sera pas fondé sur l'action, la course-poursuite, le flingage
systématique. C'est expérimental.
Je sais que vous vous êtes senti
"trahi" par les parties en 3D de votre film Immortel, qui
ne correspondaient pas à ce que vous attendiez. Avez-vous peur
d'être "trahi" à nouveau par ce jeu ?
Bilal : J'ai vu l'aspect visuel - forcément il n'est
pas raccord avec mon univers et c'est très bien. Si on avait
cherché à reproduire mon graphisme on risquait les pires
catastrophes, et là c'est clairement un visuel qui est celui
d'un jeu vidéo. Le personnage de Nikopol n'est pas celui que
j'ai dessiné, il lui ressemble un peu... En fait ce qui me plaît
vraiment dans cette idée d'adaptation pourrait se résumer
de la manière suivante : imaginons quelqu'un qui vient de lire
ma BD, il va dans un bar, il rencontre quelqu'un et il la lui raconte
fidèlement. Le type qui écoute boit, boit, il s'en va
et raconte à quelqu'un d'autre ce qu'on lui a dit, et ainsi de
suite... Le lendemain matin le dernier type au bout de la chaîne
se réveille, il se souvient d'un truc et fabrique une histoire.
Voilà, c'est en quelque sorte ce qui va se passer avec mon accord.
Quelle est votre implication concrète
?
Bilal : J'approuve le scénario, le visuel... Par exemple
on m'a montré un ou deux monstres, des robots issus de l'album
La Foire aux immortels, et j'ai modifié des choses, des traits,
mais sans dessiner directement, j'ai juste donné des mots : attendez,
faites plutôt comme ça, plutôt organique là,
plutôt squelette là. J'ai simplement redessiné Horus,
sa gueule, son allure - il était un peu trapu, ça ne me
convenait pas -, mais c'est tout. Donc je vais voir ce que mon histoire,
lorsqu'elle a été relayée par trois ou quatre ivrognes,
va donner et je serai peut-être ravi d'y jouer - ce sera sans
doute le premier jeu auquel je jouerai (sourire).
M. Amano, le créateur de Final Fantasy,
M. Sakaguchi, vous fournissait-il des consignes précises pour
dessiner les personnages ?
Amano : Pas vraiment. Comme je n'intervenais pas directement
dans la fabrication des jeux en elle-même je travaillais librement,
avec mon style, mes expériences personnels. Dans les six premiers
Final Fantasy, dont j'ai conçu les personnages et l'univers,
il y avait vraiment un décalage entre mes dessins et le résultat
final. Le jeu était une manière d'exprimer, d'interpréter
mon travail. Sur des consoles comme la NES et la Super NES, les graphismes
n'étaient pas réalistes alors que mes dessins, que l'on
trouvait sur les jaquettes, les logos, les modes d'emploi, les images
promotionnelles, les art books, les menus, l'étaient. Du coup
les joueurs s'appropriaient mes dessins, se les imaginaient en jouant
à Final Fantasy, et c'est ainsi qu'ils s'immergeaient vraiment
dans un univers qui leur paraissait réel.
Pour le logo de Final Fantasy XII
par exemple, aviez-vous une idée spécifique à exprimer
?
Amano : On m'a fait des demandes précises sur la forme
–je devais dessiner un Juge-, mais comme la personne de Square
qui devait orienter et valider mon travail était en retard d'une
demi-heure au rendez-vous, j'ai commencé à improviser
pour m'amuser. Et quand je lui ai montré le logo, c'est celui-là
qu'elle a retenu ! Et c'est devenu le logo final. D'habitude il y a
davantage de préparation.
Michel, cette façon de travailler
vous paraît-elle étrangère ?
Ancel : Non, j'ai beaucoup travaillé avec des personnes
venant de la BD ou du dessin animé comme Jacques Exertier [scénariste
de Beyond Good and Evil et King Kong, animateur et superviseur des cinématiques
de Rayman 2 et Beyond Good and Evil]. C'est un plaisir de travailler
avec ces gens-là, capables de suggérer très rapidement
une idée en trois coups de crayons. Ce serait très compliqué
de le faire en 3D, de l'animer, de le rendre interactif... On aurait
peur de se lancer. Quand on sait qu'on va passer deux mois sur un personnage
avant de commencer à le voir, on ne peut pas créer, c'est
trop rigide. Il faut qu'on puisse jeter spontanément les idées
sur papier.
Rayman contre les lapins crétins s'est créé ainsi,
en une demi-heure, sur un coin de table. On a tout de suite modélisé
les personnages avec des moyens rudimentaires. C'était un vrai
contrepied à tous les autres projets Ubisoft de l'époque,
qui coûtaient très cher. Par la suite, on s'est toujours
dit qu'on n'aurait jamais fait le jeu si on y avait réfléchi
longuement, avec des réunions de marketing, des études...
Jamais on n'aurait inventé des personnages comme les lapins crétins,
qui ne ressemblent à rien.
Le jeu a-t-il été
bien accepté par le marketing ?
Ancel : Parfois chez Ubi on fait des choses sans prévenir
personne. Et là justement on s'est mis à faire des petites
animations dans notre coin, et quand le marketing a vu un truc qui était
déjà assez abouti et qui fonctionnait, c'était
beaucoup plus facile de leur faire accepter l'idée.
M. Bilal vous disiez ce matin que
l'un des problèmes des jeux vidéo, c'est qu'ils ont tous
la même patte.
Bilal : Je parlais de la texture, de l'aspect visuel. Cela
concerne les jeux mais aussi les blockbusters américains : on
a une patine, des couleurs, des effets similaires. Mais dans les films,
les images de synthèse sont destinées à être
raccord avec des prises de vue réelles, donc ça se comprend.
J'ai fini par accepter d'utiliser l'image de synthèse sur Immortel
car je me suis dit : le sujet du film, c'est l'hybridité, alors
faisons un film hybride de bout en bout.
Hybridité parce qu'il s'agit d'une BD reconstruite en film, hybridité
parce que le film parle d'eugénisme, de manipulation des corps,
de jeunesse éternelle... Pour éviter un trop grand décalage
entre personnages réels et images de synthèse, j'ai voulu
orienter les personnages réels vers le virtuel (aucun d'entre
eux n'a vraiment de cheveux), et faire en sorte que le virtuel soit
réaliste au maximum. Mais cela n'a pas bien marché, l'animation
est imparfaite... Avec Immortel j'ai essuyé les plâtres,
comme le film Final Fantasy l'avait fait quelques années auparavant
mais avec un budget bien plus petit, à la française –l'équivalent
du budget cheveux de Final Fantasy, et je suis sérieux ! (rires)
Dans le jeu vidéo, ce problème ne se pose pas car tout
est virtuel. Bien sûr il y aura peut-être un décalage
avec mon style : il y a toujours cette tentation de la part de ceux
qui interprètent mon graphisme de forcer le trait, d'en faire
un peu trop, d'accentuer le côté délabré
de mes villes, ou lorsque je travaille sur des costumes de théâtre
de faire des rayures pour marquer un pli, là où j'avais
juste fait deux ou trois traits... Peut-être n'ai-je pas un style
suffisamment dépouillé. Mais c'est gérable dans
un jeu vidéo car on est "débarrassé"
de la présence humaine, sauf pour l'animation qui se fait souvent
en motion capture.
Michel, préférez-vous
la 2D à la 3D ? Envisageriez-vous d'y revenir ?
Ancel : Cela ne me paraît pas décisif. Quand on
regarde une image, un dessin, on a une émotion. Le tout est de
la comprendre pour la traduire en 3D. Bien sûr, les jeux en 2D
simplifient beaucoup de choses, règlent beaucoup de problèmes,
et on retrouve les fondamentaux, mais on peut aussi travailler en 2D
avec de la 3D, avec des vues de côté, des travellings...
M. Amano, vos oeuvres ont inspiré
un court-métrage, 1001 Nights, qui restitue votre style sous
la forme d'images de synthèse en mouvement. Il est désormais
possible d'obtenir un tel rendu dans un jeu vidéo. Qu'en pensez-vous
?
Amano : Je dessine toujours en 2D, et ce que j'ai imaginé
va donc forcément être déformé par le travail
d'un autre. Et si j'essayais moi-même de redessiner la même
oeuvre en 2D, le résultat serait différent. Parfois je
me demande si je ne devrais pas transcrire moi-même mon travail
en 3D avec de la pâte à modeler. J'ai cette frustration-là
du passage de la 2D à la 3D et c'est en partie pour cette raison
que je continue à faire de la peinture et de l'illustration.
M. Ancel, en tant que game designer,
comment adapteriez-vous une oeuvre de M. Bilal ?
Ancel : Il faudrait prendre le temps d'y réfléchir.
Assez vite on pourrait avoir la tentation de se servir du style d'Enki
pour habiller un jeu de science-fiction pseudo-apocalyptique banal,
avec des explosions et un héros guerrier... Or ses récits
n'ont rien à voir avec ça, leur violence est ailleurs.
Bilal : Justement, je pense que ceux qui ne voient que de la SF dans
mes albums sont des gens qui ne me lisent pas. Ils regardent les dessins
mais pas les histoires. Mes albums sont tous fondés sur les personnages,
le rapport à l'Histoire... Le coeur de mes récits, ce
ne sont ni des héros, ni des super-héros, mais des humains
: des personnages manipulés, ou manipulateurs.
C'est intéressant car c'est
un thème très adapté à une mise en abyme
sous la forme d'un jeu vidéo : le personnage manipulé
par le joueur, le joueur manipulé par le game designer... On
pourrait exprimer ce thème dans le jeu Immortel.
Bilal : Moi si j'étais auteur à 100% de jeu vidéo
je me dirigerais vers un concept comme celui-là. J'aimerais que
le joueur soit l'arroseur arrosé, que le spectateur soit pris
au piège...
Quelles sont les réactions
du public qui vous ont le plus touché, surpris, marqué
? Des lettres, des paroles...
Amano : Il y a longtemps, une fille m'avait envoyé une
lettre. Elle était malade et regarder mes oeuvres lui avait donné
beaucoup d'énergie. J'ai pris conscience qu'il fallait aussi
que je pense au spectateur. Mais je dois aussi garder mon originalité,
car si je réfléchissais vraiment à mon influence,
à mon public, je risquerais d'être bloqué. Qu'importent
les critiques : j'ai bien fait d'expérimenter régulièrement.
Lorsque je tente quelque chose de nouveau, les fans sont souvent légèrement
réticents car ils ont tendance à s'attacher à certains
de mes personnages ou styles graphiques déjà reconnus,
donc je ne dois pas trop les écouter. Je ne dois pas être
paresseux (rires).
Et vous Michel ?
Ancel : J'ai sorti Beyond Good and Evil en 2003, un jeu assez
personnel qui n'a pas eu un grand succès commercial [il a
quand même franchi le million d'exemplaires écoulés,
pour environ 7 millions d'euros de budget]. Et sur le Web, le jeu
suscite encore des réactions. Il y a un site de fans encore actualisé,
et le compositeur Christophe Héral m'a envoyé une vidéo
dans laquelle une jeune femme interprète au piano les musiques
du jeu. C'est amusant de voir que Beyond Good and Evil vit encore, qu'il
perdure sans tapage marketing. Parfois on peut vendre moins, mais toucher
profondément les gens.
Bilal : Sans entrer dans les détails, j'ai moi aussi reçu
des réactions extrêmement émouvantes. Mais je vais
citer un exemple très négatif. Pendant l'une des premières
projections d'Immortel, en banlieue, j'ai eu des réactions plutôt
positives de gens un peu déroutés. Et d'un coup j'entends
des ricanements dans le fond de la salle. Un ado prend le micro et dit
: "Mais moi j'ai rien compris, je me suis fait chier, le scénariste
c'est vraiment deux de tension".
Et là j'ai éclaté de rire et j'ai tout compris
: la bande-annonce était de bonne qualité, mais elle donnait
une fausse image du film en le présentant comme un blockbuster.
Au moment où les affiches, la bande-annonce, la promotion se
fabriquent, j'étais exsangue, je n'avais plus aucune idée,
et on a perdu toute lucidité, moi le premier. Nous aurions dû
faire attention, ne pas faire croire que c'était un film d'action...
Il y a des publics jeunes qui sont en voie de construction, qui découvrent
des objets culturels nouveaux, ils sont en attente, malléables,
et si on se fourvoie en communiquant sur le film on risque de créer
des spectateurs déçus et fermés. Donc tout est
à faire, la responsabilité des artistes, des promoteurs,
des journalistes est énorme. Il ne faut pas formater l'esprit
du public mais le mettre en alerte. Michel, Yoshitaka et moi innovons
et il y a une éducation à faire, une information à
tisser pour préserver ces objets qui sont précieux.
Enki, en dehors de ce jeu que vous
supervisez lointainement, avez-vous d'autres projets ?
Bilal : En général quand je termine un travail
j'en ai déjà commencé un autre, je ne peux pas
fonctionner autrement. Donc avant de finir la tétralogie du Monstre
j'ai attaqué un nouvel album, Animalz. C'est une rupture narrative
- un one-shot, une histoire en un seul album de 100 pages - mais aussi
graphique : noir et blanc, pas de peinture, du dessin pur rehaussé
de quelques touches de couleur, un trait plus rapide, plus énergique.
Le thème, c'est la planète meurtrie par les éléments,
l'homme désemparé par sa faillite, et les animaux qu'on
a essayé de modifier par des expérimentations. Ceux-ci
deviennent à la fois nos amis et nos ennemis car nous partageons
un même but : trouver l'eau potable restante. C'est une sorte
de western du futur, en rupture avec les sujets et récits au
long cours que j'abordais depuis longtemps. Mais j'ai bien peur que
cela se complexifie très vite (rires).
Michel, depuis deux ans, vous avez
uniquement contribué à l'idée originale et à
la conception des personnages des Lapins crétins. Mais vous avez
un projet qui vous tient à coeur, fondé sur le voyage
et l'immersion. S'agit-il de la suite de Beyond Good and Evil ?
Ancel : Oui, j'y travaille depuis plus d'un an pour les nouvelles
consoles. On bosse sur les personnages, sur ce qu'on peut exprimer,
raconter avec eux. Nous voulons être dans la continuité
du premier. Evoquer l'avenir de la planète, notre rapport aux
animaux –il y a des personnages hybrides, que l'homme a créés
pour des raisons qu'on va expliquer.
En développant BGE, il y avait la difficulté de faire
un jeu vidéo pacifique avec des mécanismes pas forcément
en rapport avec les thématiques abordées. Nous avançons
sur ce point, mais aussi sur l'apparence des personnages - nous souhaitons
les rendre "vivants", éviter par exemple que leur peau
semble constituée de plastique, un défaut fréquent.
Pour l'instant on est vraiment en petit comité, 10 ou 12 personnes.
Dans les phases finales d'une production, on peut aller jusqu'à
200 personnes, mais on essaie de trouver des astuces pour rester peu
nombreux.
L'enjeu aussi est de faire progresser
le langage du jeu vidéo, de faire en sorte que les mécanismes
eux-mêmes expriment des émotions, comme vous l'aviez fait
dans King Kong ou BGE...
Ancel : Je me souviens de ce que Jacques Exertier me disait
il y a quelques années : "Dans le jeu vidéo, c'est
comme dans les blockbusters, vous mettez tous les potentiomètres
à fond - explosions énormes, détails multiples,
mouvements partout, gros muscles - et vous croyez que cela va être
bon". Jacques en rigole car en procédant ainsi, le résultat
est nul : rien n'est mis en valeur. Nous on pense qu'il faut des accalmies,
qu'il faut tout doser, trouver les effets qui servent le propos. Jacques
a travaillé sur des courts et longs-métrages, avec des
écoles d'animation, et il sait ce qu'est un silence. Pour
cette suite de BGE, il faudra prendre le temps de tout mettre en place.
Michel, qu'avez-vous appris en
travaillant avec Peter Jackson ?
Ancel : J'ai vu le projet King Kong à son plus bel instant,
c'est-à-dire au tout début. Quand nous avons visité
les studios Weta, il y avait une grande pièce tapissée
de dessins magnifiques qui racontaient l'histoire. On la vivait déjà,
mais dans une expression qui laissait beaucoup de place à l'imagination.
C'était une sorte de BD, fantastique à regarder, décrivant
le film en entier, de l'arrivée sur cette île érodée
de façon incroyable jusqu'à l'aube qui se lève
sur la mort de King Kong. Les gens de Weta faisaient aussi de petites
sculptures. Quand ils font une réunion, ils prennent de la terre
et pof, ils font un décor. On a vu des esquisses en relief de
la tête de King Kong, qui ouvre la bouche avec un regard précis...
Cela vous a-t-il donné des
idées ? Travaillez-vous ainsi avec votre équipe ?
Ancel : Cela nous a confortés dans l'idée que
le processus de préparation sur des supports très simples
est très important : il faut avoir une idée globale de
ce qu'on va fabriquer ensuite pendant des années avec plusieurs
centaines de personnes.
Enki, vos films vous ont-ils changé en tant que dessinateur
?
Bilal : Absolument. Mais d'abord je voulais dire une chose
: en discutant avec vous, je me rends compte que je suis un solitaire.
J'ai du mal à déléguer. Sur Immortel j'avais plein
de dessinateurs autour de moi et j'étais très gêné
car je n'arrivais pas à me mettre dans la peau d'un chef d'orchestre
réalisateur : je respectais leur style. Au Japon on me demandait
souvent combien d'assistants j'avais, et quand je répondais que
je n'en avais aucun, tout le monde était très surpris
!
Pour répondre à votre question, dans un film une action
se déroule en continu, tout s'enchaîne. Quand je suis revenu
de cette expérience de cinéma, je n'ai pas eu envie de
refaire la même chose en BD : je ne voulais pas surdécouper,
disséquer les séquences en 24 images par seconde comme
dans les mangas. Du coup, j'ai eu envie de texte, les ellipses de mes
BD sont devenues radicales, et j'ai choisi de manière drastique
les images que je voulais montrer. Je savais que je prenais un risque
car cela m'éloignait de la bande dessinée traditionnelle.
Et en effet, j'ai perdu une partie de mon lectorat habituel. Mais j'ai
gagné d'autres lecteurs, venant du roman, et qui y ont trouvé
de la matière à lire et à regarder.
C'est une leçon pour le
jeu vidéo peut-être, Michel ?
Ancel : Oui (sourires).
Propos recueillis avec William Audureau.
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