Deus Ex 2, Apocalypse Now
Article paru dans le n°3 de Gaming (janvier 2004)
 

Deus Ex, Metal Gear Solid 1 et 2, GTA3, Halo, Star Wars : Knights of the Old Republic… Les jeux à la structure ouverte, au gameplay malléable et/ou à la forte portée thématique séduisent de plus en plus de joueurs. Deus Ex 2 constituera-t-il l'aboutissement de ces passionnantes formes de création interactive ? Réponses.


Ca ne devrait plus être un secret pour personne : Warren Spector est parmi les plus grands visionnaires du monde du PC. Issu de l'univers du jeu de rôle papier (Steve Jackson Games puis TSR), Spector possède une impressionnante consistance théorique et a travaillé, depuis son entrée dans l'industrie en 89, sur des jeux PC qui ont radicalement redéfini ou fusionné des genres comme le RPG, le FPS ou le stealth game : Ultima VII, les Ultima Underworld, System Shock, Thief… En 2000, Deus Ex, défini par Spector comme un amalgame de "simulation immersive, de RPG, de FPS et de jeu d'aventure situé dans un futur proche", marque l'apogée conceptuelle et commerciale de sa carrière. Dans la lignée des précédents jeux de Spector, Deus Ex met un point d'honneur à multiplier les voies et solutions offertes au joueur : architecture complexe, massive, non linéaire (il y a toujours plusieurs façons d'accéder à un lieu) ; scénario ramifié et êtres virtuels réactifs (qui vont jusqu'à reprocher au joueur d'avoir utilisé la force ou de ne pas les avoir aidés) ; système sophistiqué de compétences et d'implants…

Encore aujourd'hui, Deus Ex est une admirable leçon de game design ouvert et élaboré. Un jeu extrêmement intelligent, dans ses mécaniques comme dans son ambiance. Immergé dans un univers cyberpunk profondément sombre, dont le terrorisme de masse a bouleversé l'équilibre sociopolitique, le joueur incarne JC Denton, un agent biomodifié de l'UNATCO (United Nations Anti-Terrorist Coalition) qui découvre progressivement qu'il n'est pas forcément du côté des combattants de la liberté.

Le premier jeu post-Twin Towers 

Depuis les Twin Towers et l'Anthrax, il n'est évidemment plus possible de regarder le futur décrit par Deus Ex de la même manière. "Nous ne sommes évidemment pas des prophètes ou des génies", souligne Harvey Smith, lead designer de DE1 et chef de projet de DE2. "Simplement, lorsque vous reprenez des éléments réels et que vous les remuez, vous avez des chances de tomber sur des schémas qui se répètent". Eidos, l'éditeur, est visiblement conscient de la portée politique de DE2. En atteste l'étonnant slogan de la campagne de pub américaine du jeu : "Dans la future guerre contre la terreur [expression de George W. Bush, NDLR], choisissez votre façon de combattre" (on notera avec intérêt que ce slogan n'est présent que sur le site officiel américain du jeu, et pas sur les sites européens…). L'idée est très claire : DE2 est le premier jeu post-11 septembre. A cet égard, la scène cinématique introductive, qui voit Chicago être entièrement détruite par un attentat, possède une résonance inhabituelle.

Cependant, contrairement à certaines productions récentes (Conflict Desert Storm 2 par exemple), Deus Ex 2 n'est absolument pas le vecteur d'une idéologie propagandiste et belliqueuse. Dans DE2, chaque organisation, institution ou personnage est mû par des intentions complexes, opaques, souvent fallacieuses. Et le joueur peut librement choisir ses amis et ses ennemis. "Les jeux vidéo deviennent peu à peu plus expressifs, plus réfléchis, plus conscients de leur position dans le paysage des médias et des arts", explique Harvey Smith. "Toutefois, je ne suis pas le genre de personne à dire : "Je suis un artiste. J'ai une vision. J'ai un message à faire passer". Dans les deux Deus Ex, nous ne nous faisons pas que prêcher. Nous posons des questions sur le terrorisme, la religion, l'éthique, la science ou la politique (l'Organisation Mondiale du Commerce et Seattle font partie de l'arrière-plan de DE2). Nous mettons en place un monde, une situation, et nous vous laissons interagir avec lui et constater les conséquences de votre choix. Seul le jeu vidéo permet ça".
>>> "Les jeux vidéo deviennent peu à peu plus expressifs, plus réfléchis, plus conscients de leur position dans le paysage des médias et des arts"
- Harvey Smith