Grand Theft Auto - Punk Attitude
Article paru dans le n°5 de Gaming (mars 2004)
 

"Parce que nous sommes d'origine anglaise, nous adorons tous, à Rockstar, observer certains excès américains, même si certains d'entre nous ont choisi de vivre là-bas". C'est Sam Houser, le charismatique président de Rockstar Games, qui parle. Façonnés par le studio écossais Rockstar North (ex-DMA Design), les GTA (et notamment le 3 -PS2, PC, 01) ne sont, en effet, pas seulement des sommets de conception. Ce sont des jeux de gangster éminemment politiques, où l'idée de transgression se traduit à tous égards : liberté de mouvement et d'action (structure ouverte, violence débridée, emergent gameplay), cynisme des univers urbains dépeints.

Flics, talkshows et scandale

Dans GTA3, les flics sont des abrutis qui conduisent n'importe comment, et finissent par tuer davantage de civils qu'ils n'en sauvent. Lorsqu'on monte dans une voiture, on peut entendre des publicités grinçantes à la radio (dont une pour un reality show pré-Manhunt), ainsi que des talkshows où des auditeurs stupides affichent leur mépris pour les jeux vidéo ("ils pervertissent nos enfants ! Le jeu Pogo le singe entraîne mon fils à voler des pièces d'or !") ou leur affection pour les armes à feu ("les pistolets ne tuent pas les gens, c'est la mort qui tue les gens, demandez à un docteur, c'est un fait médical"). Houser a même clairement défini GTA Vice City comme une "satire des valeurs de l'Amérique des années 80". Réelle intention politique ou "marketing de la libération" ? Nous avons choisi notre camp.

Rockstar Games sait, en tout cas, vendre ses jeux. En 98, l'éditeur (encore appelé BMG Interactive, avant son rachat par Take 2) engagea Max Clifford, maître des relations publiques, pour promouvoir le premier GTA en Angleterre. Clifford demanda à un journaliste d'appeler l'un de ses pairs pour lui décrire de la manière la plus choquante possible le contenu du titre. Articles dans News of the World ou The Mirror, couverture du Sunday Times, débats sur Radio 5 Live et Newsnight… Le jeu fait scandale, les ventes explosent.

Procès

Aujourd'hui, probable rançon du succès, Take 2 et Rockstar Games sont attaqués de toutes parts aux Etats-Unis : par les familles des victimes d'adolescents meurtriers qui ont déclaré à la police s'être inspirés de GTA3, ou par la communauté haïtienne américaine, qui accuse GTA Vice City d'être raciste parce que l'une de ses missions invite le joueur à "tuer les Haïtiens" (sous-entendu, un gang rival haïtien, évidemment pas les Haïtiens dans leur totalité).

Quoi qu'en pensent certains, on peut se réjouir qu'une série aussi idéologiquement marquée que celle-là se soit vendue à une vingtaine de millions d'exemplaires, dont la majorité aux Etats-Unis (ha ! ha !). GTA a beau être un sale gosse irresponsable, vénal et un peu con, il est essentiel à une industrie du jeu pusillanime et coincée.


>>> State of Emergency
Un jeu anti-mondialiste ?

Edité, comme GTA, par Take 2, mais développé par VIS Entertainment, State of Emergency (PS2, PC, Xbox, 02) place le joueur dans la peau d'un militant anti-mondialiste qui participe à des émeutes contre une multinationale omnipotente. Le jeu, très bourrin, a été présenté par Jamie King, l'un des fondateurs de Rockstar, comme une diatribe contre "la modification génétique, le lavage de cerveau, la globalisation et le consumérisme". C'est un peu exagéré, pour le coup, mais le jeu a en tout cas suscité la polémique dans les rangs des anti-mondialistes, parmi lesquels Naomi Klein, l'auteur de No Logo, qui le considère comme une "cooptation commerciale" du mouvement. On lira avec intérêt cet excellent article.

>>> "Nous adorons observer certains excès américains"
– Sam Houser